Il y a une vingtaine d’années, pendant les combats qui opposaient alors Croates et Musulmans à Mostar, en Bosnie-Herzégovine, un officier croate avait confié à Joseph Nye : « Avant la guerre, je ne pouvais pas distinguer au premier coup d’œil qui était un Musulman, mais maintenant, avec les uniformes, c’est facile. » (« Conflicts after the Cold War », Washington Quarterly 19/1, hiver 1996, pp. 5–24). Depuis les guerres de Yougoslavie, je me suis plus d’une fois demandé ce qui détermine nos identités quand nous nous trouvons sommés de choisir notre camp ? Est-ce la langue, est-ce l’appartenance ethnique, est-ce l’orientation politique, est-ce la religion, est-ce un mélange de plusieurs facteurs ? Face à un conflit opposant notre pays à un autre, le choix trouve une solution aisée en suivant l’adage : My country, right or wrong ! Mais si la ligne de fracture se situe ailleurs, quelles considérations déterminent-elles finalement notre choix ? Quel est le dénominateur commun ultime qui nous semble imposer une direction ou un autre ? Une question inépuisable et sans solution, mais sur laquelle quelques lectures récentes m’incitent à esquisser de brèves observations.
Restons un instant dans les Balkans. Lors d’un repas, je me trouvais assis face à une femme cultivée, d’origine serbe. Dans le courant de la conversation, je mentionnai un catholique serbe. La réaction fut instantanée : « S’il est catholique, il ne peut pas être serbe ! » La même expérience pourrait être reproduite dans d’autres environnements géographiques. Je ne pense pas que le commentaire aurait été identique si j’avais mentionné un Serbe athée. L’identité semble ici représenter une combinaison entre un héritage ethnique et certaines options religieuses : un peu de la même façon qu’un juif religieux considérera un juif athée toujours comme juif, avec un besoin de repentance et de retour à la religion, tandis qu’un juif devenu chrétien sera regardé comme s’étant lui-même exclu du peuple juif, malgré les efforts des groupes « juifs messianiques » pour soutenir le contraire.
Les combinaisons entre différentes définitions de l’identité ultime varient. La religion y occupe une place également modulable : un catholique européen est, du point de vue religieux, le frère dans la foi d’un catholique mélanésien ; mais il partagera culturellement beaucoup plus de choses avec un athée européen, venant du même pays, du même milieu social, ayant peut-être les mêmes opinions politiques. En revanche, si un groupe catholique dans un pays exotique est en confrontation avec des musulmans, la réaction instinctive sera de se sentir du côté de ses coreligionnaires — et vice versa.
Nos identités peuvent varier, nous pouvons choisir d’en embrasser d’autres — dans certaines limites. Un chrétien européen peut devenir bouddhiste et endosser une identité bouddhiste, même si l’acquisition du bagage culturel qui l’accompagne est une autre affaire (de même que sa socialisation chrétienne et son bagage culturel chrétien originels ne s’évanouiront pas d’un coup). Il y a aussi des identités qui nous sont imposées : pour reprendre l’exemple du début de cet article, en dehors d’une hypothétique neutralité dans une situation de conflit, le Croate de Bosnie et le Musulman de Bosnie se trouvaient ramenés à des identités héritées et pas nécessairement associées à des convictions religieuses.
Je vais poursuivre ces quelques réflexions à partir d’exemples empruntés à des textes venant de milieux clairement marqués à droite, glanés ces derniers mois. Pour illustrer ces débats, ils présentent l’avantage d’approches revendiquées sans complexe par rapport aux identités, contestant l’apparente dissolution de celles-ci ou des approches universalistes.
« On se pose en s’opposant » : c’est par rapport à ce qui est extérieur au groupe que nous sommes amenés à circonscrire les contours de notre identité. Je viens de lire un livre d’entretiens avec Enzo Traverso, intitulé Les Nouveaux Visages du Fascisme (Paris, Éd. Textuel, 2017), dans lequel le chercheur développe sa notion de post-fascisme, pour désigner des mouvements qu’il distingue du néo-fascisme (résiduel là où il existe) et qui « s’acheminent aujourd’hui dans une direction dont on ne connaît pas l’issue » (p. 13). Peu importent les termes : ce qui m’intéresse est que Traverso considère que l’hostilité envers l’islam constitue aujourd’hui « l’axe structurant de ce nouveau nationalisme » (p. 35).
Cela conduit à se rassembler autour d’une identité commune (et probablement perçue comme ultime) des gens que beaucoup de choses opposeraient idéologiquement par ailleurs. J’en ai trouvé un exemple éloquent il y a quelques mois, en lisant l’étonnant récit d’une militante de Riposte Laïque (groupe français qui se signale à la fois par sa défense de la laïcité et par sa vigoureuse opposition à l’islam) en visite aux « journées chouannes » de Chiré-en-Montreuil, qui rassemblent des catholiques traditionalistes convaincus. En principe, ces deux mondes ne semblent pas destinés à se croiser : la laïcité militante est aux antipodes des convictions de catholiques traditionalistes aux opinions politiques également fortes et inclinant souvent vers le royalisme. Pourtant, malgré sa conscience du caractère incongru de la convergence (elle intitule son compte rendu « Les ‘hérétiques’ de Riposte Laïque au 50e anniversaire des journées chouannes de Chiré ! », 5 septembre 2016), Caroline Alamachère (présentée comme assistante d’études marketing et « militante pro-tibétaine ») est revenue enchantée de sa visite à Chiré : « Les enfants étaient charmants, souriants, joyeux, frais, beaux. Les adolescents serviables et respectueux » ; « j’ai clôturé cette riche journée aux côtés d’un abbé en soutane fort sympathique […]. Je lui ai parlé de Riposte Laïque et il ne s’est même pas sauvé, allant même jusqu’à me faire une petite dédicace ». Non pas qu’elle ait été foudroyée par la grâce et soudainement convertie au catholicisme traditionnel, mais parce que l’hostilité à l’islam offrait une base commune. Quelques extraits de son compte rendu :
« Tout au long de ces journées, l’identité et le fléau islamique ont été des sujets centraux, récurrents, revenant tant dans les conversations des uns et des autres et sans le moindre complexe, que chez les intervenants aux sessions. L’islam, l’un des sujets de l’après-midi, a d’ailleurs été un thème fortement apprécié de l’auditoire parfaitement et unanimement conscient de sa dangerosité pour notre civilisation, d’autant plus que nombre de personnes dans ce milieu connaît l’Histoire de France et de l’Europe et sait donc parfaitement quels méfaits au cours des siècles a pu produire cette idéologie, à commencer par des siècles d’esclavage des chrétiens par les Arabo-musulmans. »
« Les responsables des éditions de Chiré ont montré leur absence de sectarisme en invitant des orateurs tels qu’Hubert Lemaire dont l’ouvrage Musulmans, vous nous mentez est publié par R[iposte] L[aïque,] connu pourtant pour ses penchants laïques et généralement républicains […]. Certains propos d’ailleurs ont parfois fait tiquer, notamment lorsqu’ils invoquaient l’intervention divine pour sauver la France, mais cependant, chacun avait conscience qu’il y aurait sans doute lieu d’aider un peu à la chose avec des méthodes plus terrestres.
« Il était évident pour tous que nous ne pouvons combattre l’islamisme qu’au prix d’une union patriote, quelles que soient les divergences, car nous sommes tous français et nous avons tous la volonté de garder nos valeurs, notre identité, notre pays, notre civilisation.
« Hubert Lemaire a remporté un franc succès lorsqu’il a débuté par ces mots ‘il n’y a pas d’islam modéré !’ et ‘l’islam n’est pas une religion’. L’évocation d’un islam qui serait ‘paix, amour et tolérance’ a soulevé des rires narquois. Il était clair que le public était averti sur le sujet. D’ailleurs, lorsqu’il a évoqué le chiffre habituel de 6 ou 7 millions de musulmans [en France], des grognements désapprobateurs se sont fait entendre. Bien sûr, ils sont au moins le double et tout le monde ici le savait. »
Ces personnes ont le sentiment de devoir se rassembler autour d’une identité ultime, à un tournant de l’histoire qui risque de marquer la disparition d’une civilisation — le maintien de l’identité est explicitement invoqué dans l’extrait cité. Pour les catholiques qui viennent à Chiré, cette identité est clairement à la fois catholique et française (sur le mode « Catholique et Français toujours »). Pour les militants de Riposte Laïque, l’identité française s’accomplit dans la laïcité. Mais face à l’ennemi commun, ils se retrouvent sur un même socle. Celui-ci ne peut être religieux ; il n’est pas racial ; il apparaît avant tout comme civilisationnel, quelle que soit ensuite la définition concrète de ce terme. Comme l’explique Pierre Cassen, président de Riposte Laïque, dans un entretien publié par une revue anti-islamique de droite, « l’essentiel n’est pas de savoir d’où on vient, mais [où] on va, et la défense de notre civilisation, donc de nos libertés, me paraît un dénominateur commun rassembleur » (Confrontation, N° 2, hiver 2017, p. 33).
L’attachement à cette civilisation ne suscite pas une crainte identique face à toute autre identité culturelle ou religieuse. Dans l’entretien cité, Cassen explique : « Si vous installez dix millions de bouddhistes en France, vous aurez une immigration de remplacement, mais pas de volonté guerrière, pas de revendications communautaristes permanentes et pas d’attentats. » (p. 34) Dans la même ligne que le laïc Cassen, qui vient de la gauche, le catholique royaliste Yves-Marie Adeline distingue, dans le paysage français, entre les musulmans (corps étranger), d’une part, et les « Français à proprement parler, accompagnés par d’autres populations numériquement faibles qui, si elles vivent volontiers en communauté — comme souvent les Asiatiques — n’entendent imposer aucun modèle propre », d’autre part (La Guerre intérieure, Éd. de Chiré, 2017, p. 9). L’opposition d’Adeline à l’islam n’est pas une opposition aux musulmans en tant qu’individus appartenant à d’autres nations ou ethnies, même si une immigration massive entraîne des frictions ; il ne doute pas que la majorité des musulmans soient pacifiques en tant que personnes ; mais, « [n]ulle part dans le monde et à aucune époque, l’islam, dès lors qu’il s’installe en masse en un lieu, ne peut cohabiter pacifiquement avec d’autres peuples » (pp. 9–10). Tôt ou tard, cela conduit inévitablement à une « guerre intérieure » (Adeline ne la qualifie pas de civile, car beaucoup de musulmans qui ont reçu la nationalité française n’ont pas réellement été francisés, selon lui), lors de laquelle les « Français résistants » devront se battre sur deux fronts, « contre les combattants musulmans et contre leurs auxiliaires français » (p. 39).
Évoquer la perspective même de la guerre montre ce qui détermine l’identité ultime : la division ne se fera pas sur une ligne séparant les croyants des non croyants, l’attitude envers l’islam marquera la démarcation. La vision d’une future guerre inéluctable montre que l’identité se détermine par rapport à un enjeu d’existence et de survie. Même les différences de foi et d’idéologie s’effacent en partie, exactement comme cela se produit lors de conflits opposant deux États : la plupart des citoyens choisissent de servir leur pays, quels que soient leurs sentiments par rapport à leurs autorités politiques, et même s’ils seront amenés à se battre aux côtés de concitoyens dont les convictions sont très différentes des leurs (différente est la question d’affrontements sur une ligne très idéologique, pouvant conduire à des choix différents, par exemple face à un État totalitaire qui a pris le contrôle du pays auquel on appartient).
Quand je m’efforce de comprendre comment se définit et s’articule l’identité ultime, je ne prétends pas qu’il y ait un classement hiérarchique entre les identités : pour le catholique français, l’orthodoxe russe ou l’hindou indien qui est un croyant convaincu, les deux identités (et d’autres) sont aussi importantes l’une que l’autre, et d’ailleurs indissociables. Mais ce qui m’intéresse est de comprendre ce qui sera l’identité ultime, que révélera une crise très grave ou un conflit.
Quelle peut être la place de la nation ? À première vue, son importance paraissait destinée à diminuer dans un environnement contemporain mondialisé, sans parler de créations nationales très artificielles dans certaines régions du monde. Nous savons quels efforts font certains États à l’histoire relativement récente pour forger et renforcer un sentiment d’appartenance nationale. Nous savons aussi la réticence qu’il peut y avoir à modifier les frontières d’un pays ou à admettre la sécession d’une partie de celui-ci, même si cela se produit parfois. L’observation du monde contemporain suggère que le sentiment d’appartenance nationale demeure souvent plus fort qu’on ne s’y attendrait, même dans le cas de nations un peu artificielles. Des éléments non politiques (par exemple sportifs) peuvent y contribuer. La nation est certainement en mesure de constituer une identité ultime. Si un jour mon canton de Fribourg ou la Confédération helvétique devaient se trouver menacés dans leur existence, c’est à eux (et dans cet ordre) qu’irait naturellement, logiquement et prioritairement mon allégeance, que je sois d’accord ou pas avec les orientations gouvernementales du moment.
Mais comment articuler la position de la nation dans une Europe aux États interdépendants ? Je viens de lire l’ouvrage manifeste d’un auteur allemand connu pour son appartenance à la mouvance identitaire, Markus Willinger. Ce livre est intitulé Une Europe des Nations (Londres, Arktos, 2017 ; éd. originale allemande 2014). Il plaide pour l’Europe unie, tout en contestant virulemment l’Union européenne, dont il dresse le constat de décès. Il voit son Europe unie comme conciliant la liberté des peuples et l’entraide entre ceux-ci. Mais ce n’est pas n’importe quelle population qui peut faire exister et survivre l’Europe, affirme-t-il en dénonçant le « remplacement de la population européenne » par l’immigration et en lançant aux institutions bruxelloises :
« Vous n’avez jamais compris ce que l’Europe était. C’est beaucoup plus qu’une région économique ou une union politique ; c’est plus qu’un continent ou un territoire géographique. L’Europe est la maison des Européens. Sans les peuples d’Europe, ce serait seulement la partie occidentale de l’Asie. Le fait que l’Europe soit considérée comme un continent ne relève pas de la géographie, mais de la survie de ses peuples et cultures.
« L’Europe est la maison des Européens et ne pourra jamais être quelque chose d’autre. Si nous mourrons, l’Europe s’éteindra aussi. L’Europe réelle. L’Europe des nations. » (p. 18)
Des pays comme la Russie sont à cheval, écrit Willinger. Elle pourrait choisir de faire partie de l’Europe, ou être simplement un partenaire ou un ami, voire un allié. « Mais la Russie ne peut être une partie prenante de l’Europe si elle s’identifie davantage avec sa propre sphère d’influence qu’avec l’Europe ; cela signifierait une Europe sous tutelle russe. » (p. 21)
La conviction fondamentale de Willinger est que « l’Europe est formée de ses États nations et ne serait plus l’Europe sans eux » (p. 28). Cette Europe des nations devrait mener une politique de stricte indépendance, refusant tant la tutelle américaine que l’intégration dans un empire eurasien ou eurosibérien (p. 61). Il reste prudent sur la question de l’Ukraine, sans exclure l’intégration de celle-ci à l’Europe un jour et en suggérant que la division du pays en deux serait peut-être la meilleure solution… (pp. 73–75) Confronté aux mouvements séparatistes dans des pays d’Europe (Écosse, Catalogne…), l’auteur s’en sort en disant sa sympathie pour l’autodétermination de chaque peuple tout en affirmant que cela relève du ressort de chaque État : « Dans une Europe des nations, les affaires internes d’une nation ne concernent pas les autres. » (p. 65) Quant à la question religieuse, elle reflète une pensée qui se meut dans un environnement postchrétien et postmissionnaire, où subsiste une sorte de christianisme culturel, avec des sympathies qui penchent plus vers l’affirmation d’un antique héritage païen :
« Si nous les Européens sommes toujours chrétiens, nous sommes des chrétiens païens, sans ambitions mondiales et sans prétentions à dominer le monde. C’est un christianisme polythéiste auquel nous croyons aujourd’hui. Nous croyons en notre Dieu et affirmons que les autres croient en leurs propres dieux. Dans un véritable monothéisme, les autres dieux seraient considérés comme des ennemis et leur existence serait niée. » (p. 77)
Beaucoup plus qu’un projet ou un programme, c’est à la réalisation de l’utopie politico-culturelle d’une « Europe des nations » idéalisée qu’appelle Willinger, sous-estimant certainement la persistance de rivalités nationales dans un tel modèle. Peu importe, puisque ma lecture s’intéresse à la façon de circonscrire l’identité. Cette approche ne considère pas la religion comme porteuse de l’identité ultime : c’est à la nation que revient cette fonction. La nation est entendue comme entité territorialement située et porteuse d’une culture indissociable d’un patrimoine génétique.
Sur le fond, la démarche n’est pas si éloignée de l’ethnonationalisme pour lequel plaide le militant nationaliste britannique (d’origine sud-africaine) Arthur Kemp, qui affirme de façon plus explicite la dimension raciale. Selon lui, les identités des peuples « se sont toutes constituées grâce à un lien territorial commun entre des individus partageant déjà un lien héréditaire commun. Les conflits entre différents groupes ethniques essayant de partager ou dominer un territoire sur lequel vivent d’autres groupes ethniques sont la preuve de la validité de cette notion. » (Qu’est-ce que l’ethnonationalisme ?, Saint-Genis-Laval, Akribeia, 2016, p. 14) L’appartenance ethnique serait donc l’axe structurant de notre identité. Sa vision du monde idéal est celle de territoires occupés par des groupes ethniques autodéterminés, dans lesquels chaque groupe maintient « ses propres traditions, sa culture, son héritage et son identité, sans craindre d’être submergé, menacé ou dominé par un quelconque autre groupe » (p. 16).
Comme je l’écrivais plus haut, puisque la question posée était celle de ce que j’ai appelé ici « identités ultimes » (un adjectif évocateur d’une situation extrême, voire de vie ou de mort), il était pertinent de choisir des exemples chez des auteurs aux convictions très affirmées. Mais ces quelques illustrations sont loin de fournir une réponse. Peut-être la question est-elle mal posée : nous abordons nos identités de façon en partie différente selon le contexte historique et culturel. S’il y a des réalités auxquelles nous n’échappons pas (notre héritage génétique et culturel), ce ne sont pas obligatoirement et en tout temps celles-ci qui deviennent nos enjeux identitaires. Et le fait même que je soulève aujourd’hui la question des identités ultimes, en y consacrant ces réflexions, montre aussi que mes interrogations sont le reflet d’un tournant des sociétés occidentales : dans un stimulant petit essai récent, Jean-François Bayart (auteur notamment de L’Illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996) souligne que « la question identitaire (ou civilisationnelle) s’est substituée à la question sociale et politique » (Les Fondamentalistes de l’Identité. Laïcisme versus djihadisme, Paris, Karthala, 2016, p. 6). Éditeur, auteur et rédacteur d’Antipresse, Slobodan Despot a fait joliment remarquer aujourd’hui même sur sa page Facebook : « Les identités se raidissent à mesure qu’elles se défont. »
S’il y a pour moi des interrogations de fond et de longue date sur la construction des identités, mon intérêt pour les facteurs religieux dans le champ contemporain n’y est pas étranger. Dans plusieurs textes, à partir des années 1990, j’ai évoqué le rôle qu’ils pouvaient jouer dans des contextes politiques nationaux et internationaux. Plus j’avance sur ces terrains, plus je constate les dialogues, interactions et contradictions avec d’autres facteurs qui influencent aussi les orientations humaines. Je me garde de la tentation de lire le monde à travers mes sujets favoris : les situations concrètes montrent que les identités religieuses ne sont pas les seules structurantes, même dans des contextes où elles jouent un rôle important. Et sans exclure qu’elles puissent constituer aussi des « identités ultimes ». J’aurai l’occasion de revenir sur certains aspects dans un petit essai que je prépare sur la notion de « guerres de religion ».
On me répondra que les identités sont des « constructions ». C’est en partie vrai, de même que des identités font l’objet de recompositions. Mais il n’y a pas que cela : la « déconstruction » a ses limites. Les questions soulevées ont leur pertinence. Pour intéressant que soit — comme objet d’analyse — le sujet de l’identité construite, qu’une identité soit construite ou non n’est pas la seule chose qui importe : ce qui compte, ce sont les perceptions que des individus et des groupes ont de leur(s) identité(s) ainsi que la façon dont celle(s)-ci s’exprime(nt) dans la société. Comme nous l’avons vu, une identité peut alors se transformer en étendard d’enjeux existentiels, enjoignant à chacun de choisir (ou rejoindre) son camp.
J’avais cité l’anecdote mentionnée dans le premier paragraphe de ces réflexions dans un article publié il y a vingt ans déjà : à la demande d’une revue universitaire française, j’avais partagé quelques observations sur le thème « Guerres de religion ou conflits ethniques ? ». J’ai pensé que certains lecteurs pourraient être intéressé de le lire en complément. Je propose donc ici cet article au format PDF (1,1 Mo). Il peut être lu dans la fenêtre ci-dessous ou téléchargé.