Au mois de mai, le jeudi de l’Ascension, j’ai fait la désagréable expérience d’un dégât d’eau chez moi. Ennuyeux, puisqu’il faut ensuite réparer. Mais plus que cela, car quelque 200 volumes et brochures furent abîmés ou irrémédiablement détruits. L’occasion semble bonne pour partager quelques réflexions et anecdotes sur le goût pour les livres et l’imprimé en général. Ce sera l’objet de la prochaine note. Mais tout d’abord, quelques observations sur l’amour du papier.
Amour du papier ? Oui, même si je suis loin d’être un expert du sujet : après tout, je trouve un plaisir sensuel à caresser une page, à sentir la texture du papier, et nul besoin pour cela qu’il s’agisse d’une édition de luxe. Parmi les volumes abîmés en ce jour fatidique de l’Ascension 2010 se trouvait une série reliée d’une petit périodique de l’entre-deux-guerres : plus d’une fois, en le consultant, je me plaisais à passer les doigts sur les pages bien lisses, comme pour les lisser encore mieux. En revanche, quand le papier bien conservé se gondole après les atteintes de l’humidité, ce plaisir disparaît — et peu importe que le texte soit toujours lisible, la lecture s’en trouve gâchée.
Ironie du sort : parmi les volumes atteints (mais superficiellement) se trouvait un Glossaire du Papetier, rédigé par Jean-Claude Perrin et imprimé en édition numérotée de 500 exemplaires dans la région lilloise en 2003. Un livre sur beau papier, comme il se doit, qui rassemble “les mots et expressions utilisées par le papetier depuis l’invention du papier jusqu’à ce jour”, avec 124 illustrations (dessins de l’auteur) et une bibliographie. Passionnants aperçus sur tous les aspects de la transformation de la cellulose en papier. Avec un rappel historique introductif : apparu en Chine, le papier atteint le bassin méditerranéen à la suite de la capture de Chinois maîtrisant cette technique par les Arabes lors d’une bataille à Samarcande en 751 ! Il se diffuse en Grèce au Xe siècle, en Espagne au XIe.
La production mondiale de papier était de 8 millions de tonnes en 1900, ai-je aussi appris ; en l’an 2000, elle atteignait près de 300 millions de tonnes, dont 90 millions en Europe.
Je renonce à énumérer mes découvertes en me plongeant dans ces notices : le vocabulaire papetier est riche, et peu d’entre nous en connaissent toutes les subtilités. D’autant plus que le Glossaire est plus qu’une liste sèche, mais fourmille de petites remarques non dénuées d’humour, ou d’explications sur des particularités techniques.
Baskerville, par exemple, évoquait pour moi une police de caractères : mais j’ignorais que John Baskerville (1706–1775), imprimeur anglais, fut également l’inventeur du papier vélin (“papier dont aucune marque n’apparaît par transparence donnant l’apparence du parchemin”).
De même, je n’aurais jamais imaginé que le mot “châtaignée” désigne une “feuille de papier artisanal défectueuse parsemée de petits bourrelets de pâte appelée andouilles”. Et je ne savais pas plus que le “papillotage” était un “défaut d’impression dû à un mauvais positionnement de la feuille à sa mise en pression et provoquant une double impression comme les ailes du papillon”. De telles notices fleurent bon le parfum d’un vieux et noble métier !
Il y a une dizaine d’années, les hasards d’un voyage en avion m’avaient valu de me retrouver assis à côté du représentant d’un grand fabricant de papier français, qui se rendait à l’étranger pour y rencontrer des clients. Il m’avait parlé de toute les techniques de production, par exemple celles du papier bible, très fin, à la fois opagque et résistant, puisqu’il ne doit pas se déchirer à l’impression malgré sa finesse. Tous les fabricants ne maîtrisent pas de telles techniques.
Pourtant, après le traumatique incident du jour de l’Ascension, j’en étais venu à me dire que le papier est quelque chose de bien périssable. “Pas du tout”, se récria le libraire d’ancien auquel je fis cette remarque. Il s’empara d’un volume sur son bureau : “Voyez, ce livre a deux siècles, je peux toujours le lire, le papier est en parfait état. Pensez-vous que vous pourrez encore lire, dans deux siècles, des données que vous enregistrez aujourd’hui sur un support informatique?” Il avait raison, en tout cas pour les papiers de bonne qualité.
Je profite de cette notice pour signaler à mes lecteurs auxquels il arrive de passer dans ma ville de Fribourg qu’on y trouve un intéressant Musée Gutenberg (“musée suisse des arts graphiques et de la communication”), avec une exposition permanente sur l’histoire de l’imprimerie et d’originales expositions temporaires, dans un immeuble du XVIe siècle.
Addendum février 2012 — Une bonne nouvelle, que m’a communiquée Jean-Claude Perrin : une seconde édition augmentée du Glossaire du Papetier, que je signalais dans cet article, devrait sortir des presses au début du printemps 2012. Un blogue consacré à cet ouvrage vous permettra d’en savoir plus.
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