Comme chaque année, en cette période de la Toussaint, les journaux publient des articles sur les cimetières ou l’évolution des rites funéraires. Les uns et les autres connaissent de rapides transformations, qui méritent l’attention de ceux qui étudient les croyances et pratiques liées à la mort dans le monde contemporain.
Pour ma part, je suis allé voir aujourd’hui une exposition de photographies au Musée Gutenberg de ma ville de Fribourg. Intitulée Immortalis, l’exposition présente des photographies de tombes de personnalités enterrées dans des cimetières suisses, à travers l’objectif du photographe Hanspeter Buholzer.
Il nous montre des styles de monuments funéraires non seulement à travers les décennies, mais aussi marqués par des contextes locaux. Ainsi, la croix sculptée en bois du célèbre hôtelier César Ritz (1850–1918) est typique du style de certains cimetières alpestres.
Ce qui me frappe, s’agissant de monuments funéraires de personnalités, c’est que beaucoup sont d’une grande sobriété : le nom, la date de naissance et la date de décès sur la tombe. Dans le recueil de photographies de Buholzer, seules de rares tombes sont surmontées d’un buste ou d’une représentation réaliste du défunt. De simples inscriptions sur des pierres rectangulaires marquent les sépultures de Thomas Mann (1875–1955) et plusieurs membres de sa famille. Une simple croix de pierre surmonte celle de l’actrice Audrey Hepburn (1929–1993). Et bien d’autres encore.
Le plus imposant monument est sans doute celui du duc Charles de Brunswick (1804–1873), qui ne se trouve pas dans un cimetière, mais proche d’un quai au bord du lac : c’est le “monument Brunswick”, véritable mausolée. En effet, Charles de Brunswick était devenu dans son exil un riche investisseur et il fit un legs important à la ville de Genève, où il passa les dernières années de sa vie, avec la condition que soit élevé “un mausolée situé en un emplacement éminent et digne, exécuté selon la conception prévue, en recourant aux meilleurs artistes de l’époque, sans considération du prix”. La “conception prévue” était le tombeau de la famille Scaligeri à Vérone, en Italie, oeuvre du XIVe siècle.
Imposant aussi est le monument funéraire du pédagogue Pestalozzi (1746–1827), à Brugg (Argovie). Ou celui du général Henri Guisan (1874–1960), à Pully (Vaud).
Dans la catégorie des tombes sortant de l’ordinaire, celle du psychologue Jean Piaget (1896–1980), à Genève : quelques grosses pierres, devenues moussues, de taille irrégulière, en un petit cercle. Ou celle, particulièrement originale, du peintre et graphiste Richard Paul Lohse (1902–1988), à Zurich : il composait ses images selon des règles mathématiques, explique Buholzer, et son monument est une sorte de cadre vide, aux côtés orangé, vert, jaune et rouge, verticalement dressé, à la façon d’un panneau vide, devant une haie de thuya carrée de plus grande dimension. Les noms des personnes inhumées là figurent en dessous du cadre, comme une liste de résidents que l’on trouverait à l’entrée d’un immeuble.
Quelques défunts n’ont pas laissé de trace tombale. Par choix, dans le cas du chimiste Albert Hofmann (1896–2008), le découvreur du LSD, dont les cendres ont été dispersées autour d’une borne à la lisière d’une forêt – une pratique de plus en plus fréquente ces dernières années. Ou plus tristement, dans le cas de la physicienne serbe Mileva Einstein (1875–1948), épouse d’Albert Einstein de 1901 à 1914, morte dans la pauvreté et la solitude : sa tombe n’existe plus, l’endroit où elle se trouvait est aujourd’hui un espace vert dans le cimetière de Zurich.
Immortalis est aussi le titre d’un livre que Buholzer a publié en allemand, avec les photographies commentées de plus de 200 tombes. Je n’ai pas manqué d’acheter ce volume, même s’il m’a un peu déçu : la plupart des photographies reproduites dans le livre sont trop petites et empêchent de voir les détails des pierres tombales ou monuments funéraires, alors que les photographies présentées à l’exposition sont de dimension adéquate. Par exemple, sur un panneau de l’exposition, le visiteur peut immédiatement reconnaître une scène inspirée de légendes nordiques anciennes sur le monument de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges (1899–1986), qui repose à Genève ; impossible, en revanche, de la distinguer sur la photographie du livre, même si une légende explique de quoi il s’agit et traduit les textes gravés sur la pierre.
Dommage, mais cela n’enlève rien à l’intérêt du recueil. Avec la diffusion très rapide de la pratique de l’incinération, les tombes comme celles qui figurent dans le recueil de Buholzer, avec leurs monuments destinés à durer, se feront sans doute plus rares.
Hanspeter Buholzer, Immortalis. Prominenz auf Schweizer Friedhöfen, Trubschachen, Landverlag, 2009, 120 p. (cliquez ici pour accéder au site de l’éditeur).