“Avez-vous cessé de manger depuis plusieurs années déjà?”, demandai-je, l’air détaché, à la jeune libraire d’un stand de Mednat, le salon des médecines naturelles, à Lausanne, au mois de mai 2012. Elle me regarda sans comprendre. Je lui montrai le livre qu’elle venait de me vendre : Jasmuheen, Vivre de lumière : 5 ans sans nourriture matérielle (Ed. Lanore, 2006), traduit en français par le Dr Christian Tal Schaller, un vieux routier du monde des médecines et croyances parallèles.
L’Australienne Jasmuheen (nom civil : Ellen Greve, née en 1957) prétend en effet avoir renoncé à s’alimenter de façon normale depuis 1993, à la suite d’un processus de transformation spirituelle, et se nourrir de prana, la force de vie universelle. Ce serait une étape dans un processus évolutif : “Certains individus y arrivent en amenant leur conscience à un taux vibratoire plus élevé qui change la structure moléculaire de leur corps physique, émotionnel et mental.” (p. 29) Elle explique n’être nullement anorexique, mais en parfaite santé, et dormir deux fois moins qu’auparavant. Elle ne consomme en principe que thé et eau : “je sais que la seule chose qui me nourrit est la Lumière.” (pp. 69 et 74) Il ne s’agirait donc pas d’un jeûne, mais d’une autre voie pour se nourrir.
La lecture du livre de Jasmuheen ou la visite de son site montrent rapidement que la théorie respirianiste qu’elle promeut n’est qu’un élément d’un ensemble de croyances, baignant dans le monde des références de ce que j’appelle la “religiosité parallèle”: références aux enseignements orientaux (particulièrement de l’Inde), aux “Maîtres ascensionnés”, aux facultés paranormales — et bien sûr au New Age, dont l’idéal s’harmonise avec cette idée d’un saut évolutif.
Depuis plusieurs années, Jasmuheen parcourt le monde et donne des conférences dans de nombreux pays. Mais les critiques ne manquent pas : d’autant plus que plusieurs personnes ont perdu la vie après avoir tenté de s’engager dans cette pratique, dont l’une en Suisse cette année. Dans chaque cas, Jasmuheen se dégage de toute responsabilité et laisse entendre que ces personnes n’auraient pas été dans les conditions physiques et spirituelles requises, ou auraient mal suivi ses conseils.
Les convaincus pensent que la science peut permettre de démontrer la validité de la pratique respirianiste. Il y a quelques années, approché par un chimiste bâlois affirmant ne vivre que de lumière, une équipe médicale de l’Université de Berne, sous la direction du Dr Kurt Laederach, a accepté de soumettre cet homme à un contrôle en milieu hospitalier, après approbation du projet par le comité d’éthique compétent : dix jours sans nourriture, avec vidéosurveillance et présence permanente de personnel médical, le tout accompagné d’analyses en laboratoire pour examiner l’évolution de l’état du “patient”.
Résultat : à la fin des dix jours, par rapport à l’état dans lequel il se trouvait à son admission, le patient avait perdu du poids et présentait tous les signes d’une personne en état de jeûne. Malgré la lumière du jour dans sa chambre, il n’avait manifestement pas réussi à se “nourrir de lumière”.
Le sujet de l’expérience, rapporte le Dr Laederach, concéda avoir perdu du poids, mais attribua ces résultats – pour lui inattendus – au fait que la lumière du jour aurait été trop tamisée par les fenêtres.
L’équipe médicale avait pensé contribuer ainsi à dissiper la croyance à la possibilité de se nourrir de lumière. Il n’en fut rien : le chimiste bâlois continua de prétendre qu’il était possible de se nourrir de lumière ; il publia par la suite un livre en allemand à ce sujet, Leben durch Lichtnahrung : Der Erfahrungsbericht eines Wissenschaftlers (AT Verlag, 2005), mettant en avant ses propres compétences scientifiques et faisant été de l’expérience menée par les chercheurs de l’Université de Berne.
Kurt Laederach tire de cette expérience la conclusion qu’aucun communauté de convaincus ne se laisse ébranler dans ses croyances par des preuves scientifiques — et que cela vaut pour des croyances dans quelque domaine que ce soit. Il continue cependant de penser que la science se doit de rester ouverte même à des hypothèses même inhabituelles, sans préjugés, mais en les soumettant à l’épreuve de la vérification scientifique rigoureuse.
Kurt Laederach, “Der Lichtesser, der in Bern hungerte”, UniPress (Universität Bern, Abteilung Kommunikation, Hochschulstrasse 4, 3012 Bern), N° 151, déc. 2011, pp. 15–16. – Les chercheurs bernois ont publié les résultats de leur recherche dans une revue médicale : Peter Heusser et al., “Nutrition with ‘light and water’? In strict isolation for 10 days without food — a critical case study”, Forschende Komplementärmedizin, 15/4, 15 août 2008, pp. 203–209.
Michel Reymond dit
Bonjour M. Mayer,
Merci pour ce compte rendu et analyse. J’avais lu ce fait divers tragique.
Mais bien plus de gens meurent à cause de l’alcool, la cigarette, la drogue et la violence…
Mais ça pourrait s’approcher d’une dérive sectaire, et après on va mettre tous les mouvements dans le même sac !
En effet les groupes New Age une spiritualité active, mais sans nécessiter d’inclure ou de nommer Dieu.
Etrange pour moi.… alors que tout a été créé par Lui, selon mes convictions unificationnistes.
Amicalement,
M.Reymond, Genève
Juan Alvarez vilela dit
Je désire rencontrer des gens respiriens habitant dans la région lausannoise. Je pratique Reiki, Sungazing, des formes personnelles de méditation. Merci de transmettre. Arterus@hotmail.ch
Jean-François Mayer dit
Merci pour votre intérêt pour ce texte. Le présent site n’est pas un forum. Je vous suggère de vous rendre plutôt sur des sites respirianistes afin de trouver des réponses à vos demandes. Je ferme maintenant la discussion au sujet de ce billet.