Au mois de décembre 2009, l’Institut Religioscope a publié son quatrième cahier, rédigé par un jeune chercheur français, Chrystal Vanel. Ce cahier étudie l’évolution de la Communauté du Christ.
En dehors de cercles de spécialistes, plutôt rares sont les Européens qui ont déjà entendu parler de la Communauté du Christ, bien que ce mouvement religieux compte approximativement 250.000 membres dans le monde. Jusqu’en 2001, le groupe se dénommait Église réorganisée de Jésus-Christ des saints des derniers jours. L’adjectif “réorganisé” était bien sûr crucial : il devait manifester que cette Église eétait différent de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, c’est-à-dire les mormons, avec leur centre à Salt Lake City (et leurs 13 millions de fidèles aujourd’hui).
La Communauté du Christ (ex-Église réorganisée) a les mêmes origines que la “grande” Église mormone ; mais elle a suivi un autre chemin au milieu du XIXe siècle, après la mort du fondateur du mouvement. Ses membres ont refusé plusieurs développements doctrinaux du mouvement, ont rejeté le “mariage plural” (polygamie) pratiqué pendant plusieurs décennies par les mormons majoritaires (et jusqu’à aujourd’hui par de petits groupes “fondamentalistes”) et n’ont pas accepté de suivre le groupe majoritaire dans sa traversée de l’Ouest pour s’établir en Utah. Le centre de la Communauté du Christ se trouve dans le Missouri : c’est une vue de leur temple d’Independence qui orne la couverture du cahier publié par l’Institut Religioscope.
Qualifié parfois de “mormonisme modéré”, parce que plus proche des formes classiques du christianisme, l’Église réorganisée a connu une évolution dont le changement de nom en “Communauté du Christ” n’est que l’aspect le plus superficiel. Un de ses pasteurs, que j’avais rencontré à la fin des années 1970, m’avait déjà laissé entendre la volonté de certains cercles dirigeants de son Église de plus se rapprocher du christianisme historique. Mais il tenait à ne pas voir cela trop largement évoqué publiquement, craignant les réactions de cercles conservateurs du mouvement, suspicieux envers de tels changement.
Ce processus s’est poursuivi et il a abouti entre-temps. L’étude de Chrystal Vanel, doctorant français associé au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL), examine ce qu’il appelle la “protestantisation” de ce “mormonisme particulier”. Il expose comment la Communauté du Christ a évolué, malgré des résistances, dans la direction d’un protestantisme libéral, avec quelques spécificités quand même. Et il explique comment cela s’est produit.
D’abord, une réflexion sur la confrontation avec d’autres cultures, par exemple asiatiques. Ensuite, les études de plusieurs responsables du mouvement dans une institution théologique protestante – un séminaire méthodiste, plus précisément – les amena à décider de réviser la théologie du mouvement telle qu’elle était présentée aux membres dans les manuels d’école du dimanche. La nature unique de l’Eglise réorganisée se trouva mise en cause (elle devenait une Eglise parmi d’autres), le statut du Livre de Mormon comme écrit antique était contesté – il devenait un produit de la culture américaine du XIXe siècle. Et l’ordination des femmes fut enfin introduite, tandis que l’Eglise réorganisée mettait l’accent sur une “théologie de la paix”. Non sans réactions : plusieurs petits schismes conservateurs se produisirent.
La Communauté du Christ est aujourd’hui un groupe religieux théologiquement pluraliste et dogmatiquement souple. Également sur le plan liturgique, d’ailleurs, montre l’auteur.
Cette histoire nous rappelle combien les mouvements religieux, petits et grands, ont connu et continuent de connaître des trasnsformations parfois profondes. Et très souvent, ces évolutions sont d’abord le fait d’élites théologiques, de cercles dirigeants, qui se trouvent un peu en porte-à-faux avec une masse plus ou moins importante de fidèles aux vues beaucoup plus conservatrices. C’est alors que peuvent se apparaître des courants schismatiques, réagissant à ce qu’ils considèrent comme trahison de la foi par des milieux dirigeants aux convictions attiédies et corrompues par des approches doctrinales d’autres origines. A cet égard, loin d’être singulière, l’évolution de la Communauté du Christ représente plutôt un cas exemplaire.
Chrystal Vanel, La Communauté du Christ : la protestantisation d’un mormonisme particulier, Fribourg, Institut Religioscope, 2009 (Cahier N° 4), 30 pages. L’étude peut être téléchargée sous forme de fichier PDF (442 Ko) en cliquant ici.