Récemment sorti en DVD, et disponible pour l’instant en version allemande et anglaise, David Wants to Fly est la réalisation d’un jeune cinéaste allemand, David Sieveking, parti à la découverte de la Méditation Transcendantale (MT). En le regardant, mon attention a surtout été attirée sur les motivations de ceux qui adhèrent à un tel enseignement : si l’aspiration à atteindre un épanouissement personnel est la première motivation, il y a plus que cela chez ceux qui s’engagent activement dans le mouvement.
Le mouvement fondé par Maharishi Mahesh Yogi (décédé en 2008) avait eu son heure de gloire à la grande époque des voyages spirituels de jeunes Occidentaux vers l’Orient. Les Beatles et bien d’autres étaient partis à la découverte de la spiritualité dans l’ashram de Rishikesh, aujourd’hui déserté : une séquence parmi les annexes du film nous permet de découvrir ce site aujourd’hui, avec son unique et jovial gardien comme guide. Des millions de personnes reçurent de la MT un enseignement de méditation, avec un mantra à réciter durant des sessions de 20 minutes matin et soir. La plupart n’ont aujourd’hui plus de lien avec la MT, même si plus d’un continue de pratiquer individuellement, de façon régulière ou non.
Cependant, même moins médiatisé aujourd’hui, le mouvement existe toujours et ne manque pas de ressources, comme le montre la visite de son centre mondial aux Pays-Bas. Reste à voir comment il évoluera après la disparition de son charismatique fondateur : la direction a été confiée à un maharaja et des rajas, parmi lesquels les Occidentaux sont nombreux (le maharaja est un médecin d’origine libanaise), mais les avis ne sont pas unanimes sur la façon de gérer la succession, comme le révèle d’ailleurs une intéressante séquence du film. Le destin “post-charismatique” des mouvements religieux et spirituels, pour reprendre le titre d’un ouvrage collectif en anglais (When Prophets Die : The Postcharismatic Fate of New Religious Movements, SUNY Press, 1991), est une question bien connue de ceux qui étudient ces sujets.
David Wants to Fly contient nombre de passages intéressants, comme celui que j’ai cité à l’instant ou le déroulement des funérailles de Maharishi. Pour fil conducteur, le film suit la démarche du cinéaste lui-même (qui apparaît donc constamment): celui-ci décide d’explorer le monde de la MT parce que le cinéaste David Lynch, qu’il admire beaucoup, en fait très activement la promotion. Il y a bien sûr dans le film une mise en scène, mais, si l’on en croit les explications dans des séquences en annexe du film, David Sieveking aurait décidé d’explorer la MT sans préjugés, et estime que la méditation elle-même lui a apporté quelque chose, bien qu’il ne la pratique plus sous la forme enseignée par la MT.
Cependant, bien qu’il continue d’admirer David Lynch comme cinéaste, David Sieveking devient très critique quant à la façon dont Lynch accepte de propager la MT. Ces efforts de David Lynch se poursuivent d’ailleurs : alors que je rédigeais ce commentaire, il y a un mois, j’ai découvert que Lynch, qui a créé en 2005 la David Lynch Foundation for Consciousness-Based Education and Peace, avait décidé de donner 100.000 dollars pour lancer l’Operation Warrior Wellness, afin d’aider 10.000 vétérans de guerre américains à surmonter les troubles consécutifs à leur engagement dans des zones de conflit et les transformer en “faiseurs de paix professionnels” (professional peacemakers) (Wall Street Journal, 26 novembre 2010).
Sieveking explique avoir découvert petit à petit des aspects plus problématiques de la MT, notamment sur le plan financier. Ainsi, le film évolue progressivement vers un éclairage critique, au fur et à mesure que se tendent les relations entre David Sieveking et la MT, en particulier parce qu’il fait le choix de rencontrer plusieurs anciens membres, dont un Américain qui, avec son frère, aurait été le plus important donateur du mouvement (150 millions de dollars). A noter cependant que, si la MT a menacé l’auteur du film de poursuites, elle ne l’a finalement pas fait (ce qui est sans doute l’approche la plus sage sur le plan des relations publiques, d’ailleurs).
Le documentaire est plutôt amusant à regarder, jamais ennuyeux et parsemé de scènes et informations intéressantes – même si naît vite le sentiment que le regard porté sur la MT est ironique : dès le premier entretien avec David Lynch, notre jeune cinéaste manifeste son intérêt pour les propos de son interlocuteur de façon trop affirmée pour paraître sincère. Le journal autrichien Krone (7 décembre 2010) remarque très justement que Sieveking a choisi une approche “à la Michael Moore”, laissant assez largement ses interlocuteurs parler et sachant que l’effet produit par leurs déclarations va provoquer l’étonnement ou l’hilarité du spectateur non séduit par le message de la MT.
David Sieveking a rencontré plusieurs personnes critiques envers les “sectes” (Rick Ross, Hugo Stamm, James Randi), mais a fait le choix de ne pas incorporer ces séquences dans la version finale et de les proposer comme annexes du DVD. Face à un mouvement qui a fait l’objet de controverses (même si la MT est loin de se trouver au nombre des groupes les plus controversés), il n’est pas aisé de se maintenir au dessus, ou en dehors des controverses, comme bien des enquêteurs sur différents groupes contemporains en ont fait l’expérience. Approcher les anciens membres ou critiques n’est pas accepté par tous les mouvements ; les possibilités d’accès ne sont plus les mêmes à partir de ce moment. Et David Sieveking ne prétend pas avoir produit un thèse de doctorat, mais un regard très personnel, sous le visage d’un personnage un peu décalé, sur la MT.
Cependant, en regardant le documentaire de David Sieveking, je me disais que son exploration offrait des éclairages sur d’autres aspects de la MT, sans qu’il prête vraiment intérêt à ces pistes – justement celles qui, en tant que chercheur, auraient probablement retenu mon attention, plus que les aspects que le cinéaste a choisi de privilégier. Ce qui montre une fois de plus que, sur le même mouvement, des réflexions et observations différentes peuvent voir le jour, en fonction des intérêts et/ou préjugés de chacun. Nous portons sur une même réalité des regards différents.
Sous les aspects extérieurs parfois urprenants, ce qui m’a frappé le plus (et semble avoir échappé à la lecture de David Sieveking) est la très forte dimension utopique de la MT : l’aspiration à créer une société idéale. Contrairement à ce que certains spectateurs pourraient supposer, l’intérêt pour la méditation et la pratique de celle-ci ne conduisent pas les pratiquants de la MT vers une approche individualiste : la cause pour laquelle ils s’engagent et donnent généreusement (à bon escient ou non) n’a pas simplement pour but leur amélioration individuelle, mais la transformation du monde. Telle est par exemple l’idée de création d’un grand centre où se rassembleraient pour méditer des milliers de personnes afin d’améliorer la situation du monde. Que ce projet ait quelque fondement “scientifique” ou non et que les objectifs visés soient ou non réalistes n’est pas vraiment la question (même si la MT prête inévitablement le flanc à la critique en entendant apporter des preuves scientifiques de l’efficacité de sa technique).
Ce qui retient mon attention, en regardant ce film, c’est que l’adhésion au message de la MT semble liée à la certitude de pouvoir créer un monde harmonieux plus qu’à une fuite du monde. Cela fait longtemps que je suis sceptique face aux explications souvent offertes, dans les années 1970, pour expliquer l’essor de nouveaux mouvements religieux : déçus de ne pouvoir changer le monde, des jeunes auraient renoncé à l’activisme pour se replier sur la méditation et des pratiques spirituelles. Il y a une part de vérité : pour une étude documentée, je recommande la lecture du livre de Stephen Kent, From Slogans to Mantras (Syracuse University Press, 2001).
Mais l’exploration de nouveaux mouvements religieux m’a très tôt convaincu que ceux-ci proposaient également des projets de société (que l’on peut certes juger “utopiques”, mais peu importe) et que cela était une composante importante de leur attrait. Il ne s’agit pas seulement de se sauver soi-même et de s’épanouir, mais de sauver le monde.
Il y aurait une recherche à mener sur la vision utopique des pratiquants de la MT. Celle-ci inclut le projet de recréer des espaces urbains selon les principes de la “loi naturelle”: cela a suscité des commentaires très ironiques chez des journalistes qui, ici ou là, en ont parlé ces dernières années, mais la vision de ces projets ne me pousse pour ma part pas tellement à l’ironie : j’y vois plutôt un extraordinaire projet dans le registre des tentatives de création d’un monde idéal.
En arrivant vers la fin du film – que je reconnais avoir pris du plaisir à regarder – je me suis aussi posé une question un peu inquiète de chercheur : après un tel film, qui ne leur a pas plu, comment les dirigeants de la MT accueilleront-ils les futurs chercheurs ou journalistes qui voudront se pencher sur leur mouvement ? les portes seront-elles plus difficiles à ouvrir ? Je n’en sais rien, mais, après de nombreuses expériences de terrain, c’est une interrogation qui surgit, car la méfiance suscitée dans un mouvement par un article ou un reportage a souvent des conséquences dans la longue durée pour ceux qui désirent étudier ensuite un groupe.
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Après avoir regardé le film de David Sieveking, j’ai lu un livre qui attendait depuis longtemps sur les rayons de ma bibliothèque (je l’avais acheté il y a quelques années à la librairie de la Société théosophique à Melbourne), The Maharishi Effect : A Personal Journey Through the Movement That Transformed American Spirituality, par Geoff Gilpin (New York, Jeremy P. Tarcher / Ppenguin, 2006). C’est un voyage nostalgique et intrigué d’un pratiquant de la MT ayant abandonné ses relations avec le mouvement sur les traces de son expérience et à la découverte de ce qu’est devenue la MT à Fairfield (Iowa), où elle est installée depuis 1975 et a son grand centre américain. Intéressant pour voir les transformations intervenues ; il recoupe plusieurs aspects qui émergent du film de David Sieveking, mais sur un ton différent.
L’impact de l’installation de la MT sur la ville de Fairfield a été présenté dans un article et reportage photographique de Scott Lowe, “The Neo-Hindu Transformation of a Iowa Town”, Nova Religio : The Journal of Alternative and Emergent Religions, 13/3, février 2010, pp. 81–91).
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Le lendemain de l’écriture de ce billet, le mois dernier, j’ai assisté à l’Université de Nanterre à la soutenance de l’excellente thèse de Raphaël Voix sur un autre mouvement d’origine indienne, auquel il va d’ailleurs prochainement consacrer un cahier qui sera publié par Religioscope. A cette occasion, j’ai appris que ce jeune chercheur avait commencé à se pencher maintenant sur les projets de société idéale de mouvements néo-hindous. J’attends avec curiosité de lire le fruit de ses observations sur ce thème. Comme le billet ci-dessus permet de le soupçonner, un riche terrain d’exploration l’attend.
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