Cette semaine, je suis retourné au Salon international du livre et de la presse de Genève, dont c’était la 25e édition. J’hésite toujours avant de visiter un tel salon : je me promets de ne rien acheter… ou presque… mais je finis toujours par céder (un peu!) à la tentation et à charger un peu plus les rayons déjà bien remplis de ma bibliothèque ! Certes, l’abondance des ouvrages, d’un stand à l’autre, peut aussi exercer un effet modérateur, nous rappelant que l’on ne saurait tout lire, même dans ses domaines de prédilection.…
J’ai pris du plaisir à cette visite : même si le salon a enregistré moins de visiteurs que les années précédentes, paraît-il, je l’ai trouvé mieux centré sur le livre que certaines années précédentes. En y allant, le 3 mai, mon intention n’était pas d’en tirer un billet. A mon retour, cependant, il m’a semblé que quelques observations pourraient intéresser des lecteurs. Je les partage donc, en vrac. En commençant par un coup de cœur pour un éditeur, et une “mention spéciale” pour un autre.
Le coup de cœur a été la découverte d’un stand que son responsable avait déjà déserté, en laissant à un stand voisin le soin de ventes éventuelles. Ce stand presque abandonné m’a séduit : j’avais envie d’acheter la plupart des livres qui s’y offraient au regard du visiteur ! Ce sont tous des titres intéressants et originaux ; en outre, ce sont des livres de présentation élégante, soignée.
Ce stand était celui des Editions Anacharsis, un éditeur toulousain qui n’a même pas son propre site Internet, mais un espace sur un site dédié à l’édition indépendante. Les Editions Anacharsis ont “pour vocation de publier des ouvrages qui rendent compte des rencontres entre cultures”. A leur catalogue, vous trouverez des romans, chroniques et récits médiévaux, mais aussi des relations de voyage coloniales, des sagas islandaises, quelques ouvrages de fiction et essais d’anthropologie, et une poignée de livres variés. A leur catalogue 2011, près de 65 ouvrages, dont chaque couverture est une réussite et la typographie un plaisir pour l’œil du lecteur.
Sans doute une trentaine de titres étaient-ils proposés sur le stand. Je ne pouvais tous les acquérir ! Que choisir, pour cette première incursion dans le monde des Editions Anacharsis ? J’ai résisté — mais ce n’est que provisoirement ! — à la traduction de la Chronique de Nestor, la plus ancienne histoire de la Russie que l’on connaisse, et à Thessalonique : chroniques d’une ville prise, rassemblant des récits des trois prises de cette ville (904, 1185 et 1430). J’ai réservé pour plus tard les sagas qui attiraient aussi ma convoitise, et plusieurs autres volumes. J’ai finalement choisi le livre de Joao Bermudes publié sous le titre Ma géniale imposture : Patriarche du Prêtre Jean (introduction de Hervé Pennec, traduction par Sandra Rodrigues de Oliveira, 2010), qui entraîne le lecteur dans l’Ethiopie du XVIe siècle, et l’essai d’Eric Chauvier, Anthropologie de l’ordinaire : une conversion du regard (2011).
Quant à ma “mention spéciale”, elle va à un éditeur d’un tout autre genre, pour son labeur solitaire au service d’un message qui l’a touché : un éditeur qui fait tout, jusqu’à l’impression des livres et à leur reliure — et il en a déjà produit trente-cinq, que vous ne trouverez pas dans les rayons des librairies. Mon attention a été attirée par ce stand non à cause d’une élégance des couvertures, comme pour l’éditeur précédent, mais parce qu’il semblait consacré entièrement à un auteur et que celui-ci était manifestement à l’origine d’un message spirituel. J’ai donc abordé le responsable du stand, qui s’est révélé être l’éditeur lui-même.
Il se nomme Christian Piaget et réside à L’Auberson, village du Jura vaudois, non loin de la frontière française. En 1989, m’a-t-il raconté, il a découvert les enseignements de Shuddhananda Bharati (1897–1990), un sage indien qu’il n’a jamais eu l’occasion de rencontrer, puisqu’il est décédé peu après. A l’enseigne des Editions Assa et S. Ram Bharati Editions, il publie en français et en anglais des livres de cet auteur. Je me suis procuré le volume intitulé Notre Religion (2010) et ai reçu en cadeau de Christian Piaget, lorsqu’il a appris quels étaient mes intérêts de chercheur, Experiences of a Pilgrim Soul (2008), des notes autobiographiques de Shuddhananda Bharati, publiées à l’origine en 1964 et préfacées par nul autre que le célèbre Swami Sivananda(1887–1963). Je n’ai pas encore lu ces ouvrages et ne vais donc pas les évoquer, ni la vie de Shuddhananda Bharati, même s’il y aura sans doute lieu de le faire un jour, car son parcours ne manque pas d’intérêt.
Mener seul une telle entreprise d’édition, pour quelqu’un qui ne vient pas du monde du livre ou des métiers de l’imprimerie, avec pour unique motivation l’inspiration trouvée dans un message, n’est pas chose courante. C’est pour illustrer de telles démarches que je signale cette initiative.
Mais je ne me suis pas limité à ces deux stands : j’ai arpenté dans tous les sens les allées du salon, y rencontrant comme chaque fois de nombreux amis et connaissances, m’arrêtant avec certains au coin d’un stand ou autour d’un verre, évoquant mes découvertes ou l’avenir du livre. Car c’est pour repérer des titres et rencontrer des personnes que l’on apprécie — notamment les éditeurs, qui prennent souvent des risques financiers par passion des livres — que l’on visite aussi un tel salon. Il paraît qu’il y a des personnes qui y viennent pour y faire provision de livres, par exemple des gens qui sont éloignés géographiquement de librairies : une professionnelle du livre, avec laquelle j’ai bavardé, m’a raconté rencontrer chaque année une personne venant d’une ville de la Suisse alémanique, où il n’y a plus de librairie francophone, et qui passe pas moins de trois journées au Salon afin d’y faire des provisions littéraires pour toute une année. Il est beau de savoir qu’il existe de tels lecteurs, plus nombreux qu’on ne l’imagine.
Parmi les titres récents découverts au Salon du livre de Genève, je signale le livre de Kaj Noschis, Monte Verità : Ascona et le génie du lieu (2011), publié dans la remarquable collection Le savoir suisse, présidée par Bertil Galland aux Presses Polytechniques et Universitaires Romandes (Lausanne). Au XXe siècle, le Monte Verità, dans le canton du Tessin (région méridionale et italophone de la Suisse), a été un extraordinaire laboratoire d’idées sociales, artistiques et spirituelles, attirant des figures originales ou brillantes. Je possédais dans ma bibliothèque plusieurs ouvrages bien documentés en allemand sur ce haut lieu, mais je crois que le petit volume très lisible et bien informé de Kaj Noschis est le premier à offrir une synthèse en français.
Pays hôte d’honneur, l’Arménie avait aménagé un grand stand. Je ne l’ai pas exploré entièrement, ni dégusté les spécialités culinaires qui y étaient proposées, mais j’ai été intrigué par un livre, que j’ai acheté aussitôt : Joël Gourdon, Léon, le dernier roi d’Arménie (Aix-en-Provence, Ed. Persée, 2009). Sous la plume d’un agrégé d’histoire, ce volume raconte la vie de Léon V de Lusignan,“dernier et éphémère roi d’Arménie (1374–1375)”, qui repose — je l’ignorais — parmi les rois et reines de France dans la basilique Saint-Denis. Issu d’une de ces dynasties chrétiennes d’Orient créées par les Croisades, il régna en fait non sur l’Arménie actuelle, mais sur la Petite Arménie, autrement dit la Cilicie, sur la côte sud-est de l’actuelle Turquie.
J’ai découvert aussi une revue, Meteo Magazine. Non, je n’ai pas un intérêt prononcé pour la météorologie : mais je me suis demandé ce que pouvait bien être un stand consacré uniquement à une revue sur ce sujet ? Le responsable Robert Bolognesi, également directeur de la publication et nivologue, a aimablement répondu à mes questions.
A l’origine de Meteo Magazine se trouve un bureau d’études météorologiques privé, fondé en 1999, Meteorisk. Le désir est venu de partager les connaissances dans le domaine météorologique avec un public plus large. C’est ainsi qu’a été lancé en 2007 Meteo Magazine, publié à un rythme semestriel, chaque fois autour d’un thème. Le dernier numéro (N° 7) prend ainsi pour thème “La neige”. Présentation élégante, typographie aérée, bonne lisibilité des textes.
Un stand très dépouillé, mais au design futuriste, m’a permis de m’informer sur une initiative dont je n’avais jamais encore entendu parler, mais qui mérite d’être saluée : la Maison de l’écriture, en cours de construction à Montricher, en pleine campagne du Pays de Vaud, dans un lieu-dit dont le nom est suffisamment évocateur : En Bois-Désert.
Cette maison est une initiative de la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, créée en 2004 à l’initiative de la veuve de Jan Michalski. Le couple avait fondé les Editions Noir sur Blanc, sises également à Montricher, qui ont un beau catalogue et publient des ouvrages de qualité. La Maison de l’écriture offrira, dès le printemps 2012, des résidences pour écrivains, pour une période de trois à douze mois, afin de leur permettre de s’y consacrer pleinement à la création littéraire. Elle abritera également une bibliothèque de plus de 85.000 ouvrages, un auditorium et un espace d’exposition.
Enfin, lors d’un passage à un salon du livre, je ne puis manquer de m’intéresser aux groupes religieux présents. Souvent, j’y ai rencontré des maisons d’édition associées à de nouveaux mouvements religieux. Je ne les y ai guère vus cette fois-ci. Cette année, j’ai plutôt été frappé par la présence de plusieurs stands musulmans, par exemple celui de la Mosquée de Genève ou celui de l’Association culturelle des femmes musulmanes de Suisse. La présence de ces différentes associations témoigne manifestement d’une volonté de faire connaître l’islam et de dissiper des préjugés à ce sujet.
Je me suis particulièrement intéressé au stand de l’association genevoise Connaître l’Islam, qui entend présenter “l’authentique message”, aussi éloigné de “l’islam modéré” que d’Al Qaïda, m’a expliqué l’un des bénévoles accueillant les visiteurs. Les fondateurs de cette association sont de jeunes musulmans qui ont grandi en Suisse et qui entendent “présenter l’Islam à l’état pur, loin des clichés, des préjugés et des amalgames”, explique leur site, en s’appuyant sur les “sources originelles” de celui-ci. Une approche qui séduit aujourd’hui nombre de jeunes musulmans, en Occident et ailleurs, qui entendent ainsi échapper à des formes d’islam marquées par des contextes culturels particuliers en aspirant à revenir à la compréhension des salaf (anciens, pieux ancêtres), d’où l’étiquette de salafisme couramment accolée à ces démarches. Le stand distribuait en particulier des brochures en français provenant d’Arabie saoudite. Il convient de prêter attention à ces initiatives de jeunes musulmans qui viennent prendre place à côté de celles de générations précédentes, car leur dynamisme et leur discours bien articulé ne peuvent manquer, me semble-t-il, d’exercer un impact dans les années à venir, comme l’indiquent d’ailleurs d’autres développements dans le paysage musulman en Suisse — mais c’est un autre sujet, qui nous entraîne hors des murs du Salon du livre.