S.S. Grégoire XVIII, qui a accédé au Saint-Siège de Palmar de Troya (en Espagne, dans la région de Séville) l’été dernier, ouvrira solennellement le Troisième Saint, Grand et Dogmatique Concile Palmarien le 6 janvier 2012. Le pontife palmarien a en outre décrété que le 1er janvier 2012 marquerait le commencement d’une année sainte palmarienne “en l’honneur du Saint-Esprit”. “Tous les croyants de l’Église Une, Sainte, Catholique, Apostolique et Palmarienne peuvent obtenir durant toute l’année 2012 une indulgence plénière”, à différentes conditions, à l’occasion de pèlerinages à la basilique cathédrale de Notre Mère Couronnée du Palmar.
Par ces décisions, Grégoire XVIII (que l’on voit sur la photographie ci-dessus) se signale pour la première fois à l’attention des observateurs du champ religieux, depuis son accession au souverain pontificat palmarien au mois de juillet. Il est le troisième pape palmarien — désigné par son prédécesseur, comme l’avait été le précédent. C’est aussi l’occasion d’un petit tour d’horizon sur l’histoire de l’Église palmarienne et quelques récents développements.
Le 30 mars 1968 à 13h20, à Palmar de Troya, Notre-Dame-du-Mont-Carmel apparut à quatre jeunes filles. Ainsi que cela se produit souvent lors d’apparitions, d’autres voyants commencèrent à se manifester autour de ce lieu d’apparitions. Parmi les curieux qui vinrent à Palmar se trouvait un jeune comptable, Clemente Dominguez Gomez (1946–2005). Il visita le site en compagnie d’un ami avocat, Manuel Alonso Corral (1934–2011). Dès 1969, les deux hommes furent pleinement convaincus de l’authenticité des événements. En outre, Clemente eut sa première vision le 30 septembre et reçut le 10 décembre un premier message du ciel.
Tandis que l’archevêque de Séville mettait en garde les fidèles, la Vierge révéla en 1970 que Palmar de Troya était le plus important lieu d’apparitions du monde et de tous les temps. Le rôle de Clemente, qui reçut les stigmates la même année, devenait de plus en plus important et sa réputation se diffusait internationalement dans les réseaux de personnes intéressées par les apparitions : “Il est pour eux la figure principale du Palmar”, écrivait en 1973 Padre Luna, lui-même convaincu par les apparitions initiales, mais pas par Clemente (La Mère de Dieu m’a souri. Les apparitions de Palmar de Troya, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1973, p. 53). Une division entre partisans et adversaires de Clemente devint de plus en plus nette sur le lieu des apparitions. Il existe d’ailleurs aujourd’hui encore des dévots de Palmar qui n’ont pas suivi Clemente et se réunissent là, avec des apparitions du Christ et de la Vierge, mais en affichant leur fidélité à l’Église catholique romaine.
Un message du Père Éternel reçu le 25 mars 1972 illustre bien quelle était l’orientation prise par le mouvement à ce moment : “Mes Enfants : Je suis grandement irrité par le pasteur qui guide le troupeau à Séville [c’est-à-dire l’Archevêque]. Il n’a pas agi avec prudence. Sans les avoir étudiés sérieusement et sans esprit d’humilité, il a condamné les Phénomènes Sacrés qui se sont produits dans ce Saint Lieu de Palmar de Troya. Mon bras de justice tombera sur ce Pasteur.” Plus largement, l’épiscopat espagnol est mis en cause : les lecteurs sont invités à se garder d’une “obéissance aveugle” envers la hiérarchie et à cultiver l’unité avec le Pape — à l’époque Paul VI, que le groupe a toujours considéré comme saint, drogué par son entourage et “victime innocente de la franc-maçonnerie et du communisme”. Le message de 1972 condamnait aussi les innovations liturgiques et appelait au rétablissement de la Messe traditionnelle. Les messes à Palmar étaient d’ailleurs toujours célébrées selon le rite tridentin.
Le groupe autour de Clemente commençait à s’établir physiquement à Palmar : en 1974, grâce à des dons venus de l’Irlande, une maison put être achetée sur place pour y loger les pèlerins. Palmar était en train de devenir plus qu’un lieu de pèlerinage : un centre de l’Église, comme le déclarait un message du Christ en septembre 1975 : “Ici se trouve la Lumière, la Catédrale, le Séminaire pour l’Église ; ici se trouve la forteresse de la Sainte Tradition […]. Ici se trouve l’Église.”
En décembre 1975 fut fondé l’Ordre des Carmes de la Sainte Face (OCSF), sur instructions détaillées du Christ : il comptait une centaine de religieux et religieuses l’année suivante. Le 25 du même mois arriva à Palmar de Troya Mgr Pierre-Martin Ngô-dinh Thuc (1897–1984), ancien archevêque de Hué (Vietnam). Le 1er janvier 1976, il ordonna comme prêtres plusieurs religieux de l’OCSF, puis, le 11 janvier, consacra cinq évêques, dont Clemente et Manuel. Mgr Thuc prit rapidement ses distances avec le groupe de Palmar, mais ces consécrations permirent à un lieu d’apparition de se transformer en quelques années en une Église, avec son clergé, dont le nom légal est aujourd’hui Église chrétienne palmarienne des Carmes de la Sainte Face (c’est sous cette dénomination qu’elle a finalement été enregistrée en 1988 dans le Registre des associations religieuse d’Espagne). Dès le 27 janvier, Clemente dit avoir reçu l’ordre de procéder à de nouvelles consécrations. Les ordinations et consécrations épiscopales se multiplièrent (y compris, peu après, celles de jeunes gens), avec l’érection de diocèses également en dehors de l’Espagne. Une prédication prononcée par le fondateur le 15 août 1976 montre que les palmariens exhortaient en particulier les prêtres catholiques traditionalistes à les rejoindre.
À la suite d’un grave accident de voiture au retour d’un déplacement en France, le 29 mai 1976, Clemente subit un traumatisme facial qui entraîna la perte des deux yeux. Dès la mi-juin, il avait cependant regagné Séville et repris ses activités. Le 4 août 1976, le Christ lui révéla : “Tu seras le Pierre qui vient, le pape qui consolidera la foi et l’Église dans son intégrité, qui combattra les hérésies”, et précisa qu’il portera le nom de Grégoire. Le voyant aveugle se vit hissé à la fonction de “Sous-Vicaire du Christ”, afin de parler et agir pour le Pape confiné et les mains liées au Vatican. Quelque temps après, Clemente reçut le nom de Ferdinand.
Le 6 août 1978, il se trouvait à Bogota quand mourut Paul VI. il fut alors mystiquement couronné pape par le Christ. Le Saint-Siège se trouva transféré à Palmar de Troya, avec Grégoire XVII comme chef de l’Église. Dès l’élection de Jean-Paul Ier, celui-ci fut excommunié par Grégoire XVII. En 1982, Grégoire XVII retira à tous les prêtres et évêques ne se trouvant pas sous sa juridiction (ou quittant celle-ci) le pouvoir “de conférer ou produire validement un sacrement quelconque”. Plus encore, quelques semaines après avoir été malmené par la foule alors qu’il voulait aller vénérer avec des fidèles les reliques de Sainte Thérèse d’Avila, Grégoire XVII décréta :
“Nous retirons dès à présent le caractère sacré de toutes les reliques, images, objets de culte, ornements, églises, autels, et de n’importe quel édifice et choses dédiés au culte, appartenant à toutes les églises en dehors de la Véritable Église une, sainte, catholique, apostolique et palmarienne. Ainsi, rien ne demeure sacré dans les églises apostates de tout ce qui auparavant avait un caractère sacré ; car le caractère sacré existe seulement dans l’Église palmarienne, qui est la Maison de Dieu.” (30 juillet 1982)
(En ce qui concerne les reliques, “la bénédiction ne les quitte jamais, sinon que Dieu met une barrière qui est une cape éthérée, par laquelle les reliques cessent d’être sacrées pour les hérétiques et les schismatiques.) Tous les objets précités retrouvent automatiquement leur caractère sacré s’ils deviennent la propriété de l’Église palmarienne. Sous peine d’excommunication, il est interdit aux fidèles d’entrer dans des lieux de culte non palmariens, “même pour admirer leurs œuvres d’art, parce que ces lieux se sont transformés en maison de Satan”. De façon générale, les fidèles palmariens se trouvent appelés à respecter des règles strictes, face à un environnement perçu comme apostat et moralement décadent.
L’un des premiers actes pontificaux de Grégoire XVII fut d’abolir la “nouvelle messe” et de rétablir “la vraie messe latine”. Cela ne l’empêcha cependant pas de se lancer peu après dans des réformes liturgiques, promulguant en 1983 la “Messe palmarienne”, plus courte que la messe tridentine, mais présentant l’avantage selon Grégoire XVII, de permettre à chaque prêtre de dire plusieurs messes par jour (un minimum de huit). Dans un sermon prononcé le 5 octobre 1983, il expliquait :
“il est vrai que, jusqu’à récemment, nous palmariens avons défendu la Messe Tridentine de toute notre force, au péril de nos vies — parce que, à ce moment, c’était ce que voulait le Dieu unique. Maintenant Nous, et ceux qui Nous suivent, sommes prêts à donner nos vies pour la défendre la Messe Palmarienne, parce que c’est ce que le Dieu unique veut maintenant.”
En 1984, pour les mêmes raisons (pouvoir célébrer plus de messes), Grégoire XVII annonça la suppression de la Messe des Présanctifiés le Vendredi Saint, afin de permettre aux prêtres de dire le nombre habituel de messes ce jour-là également.
Le processus de révélation et communication avec le Ciel a entraîné en effet, dès le pontificat de Grégoire XVII, de nombreuses réformes palmariennes, qualifiées de réformes “authentiques”, en contraste avec celles du luthéranisme ou celles du Concile Vatican II. Dans un sermon du mars 1984, Grégoire XVII décrivait ces initiatives comme un processus de “rénovation apocalyptique”. Car l’approche des temps de la fin est très marquée dans la foi palmarienne, même s’il n’est pas possible d’entrer ici dans une analyse détaillée de ces croyances.
Grégoire XVII a en outre proclamé de nombreux dogmes. Les “Vénérables Pères du Saint et Grand Concile Palmarien”, qui s’est réuni en plusieurs sessions de 1980 à 1992, ont composé un long Credo palmarien, publié en 1980, qui reflète certaines des doctrines propres à cette Église, par exemple :
“Je crois en la réelle et véritable présence spirituelle de la Très Sainte Vierge Marie dans la Sainte Eucharistie, en position agenouillée, où elle adore Dieu et le supplie pour toute l’humanité.”
En outre, une “Bible palmarienne” a remplacé les versions traditionnelles des Saintes Écritures. Certains livres de la Bible ont été combinés, leur longueur réduite ou le texte révisé. La lecture quotidienne en est recommandée aux fidèles.
L’Eglise palmarienne entreprit aussi la construction d’une imposante basilique qui se dresse aujourd’hui à Palmar de Troya. En revanche, elle aurait été contrainte de vendre en 2003 ses propriétés à Séville, afin de pouvoir faire face à ses charges financières.
Au fil des années, l’Église palmarienne vit nombre de membres de son clergé et fidèles la quitter, au fur et à mesure de ses évolutions doctrinales. En l’an 2000, 17 évêques et quelques centaines de fidèles sont ainsi sortis de l’Église palmarienne, tout en continuant de la considérer comme l’authentique Église, mais affirmant que Grégoire XVII aurait dévié à partir de 1995 et que le Siège de Palmar de Troya serait ainsi devenu vacant. (Nous ignorons ce qu’il reste actuellement de ce groupe, dont le site ne semble plus avoir été mis à jour depuis quelques années.)
Lors du décès de Grégoire XVII le 21 mars 2005, ce fut le Père Isidoro Maria (nom religieux de Manuel Alonso Corral) qui lui succéda sous le nom de Pierre II. Il avait été secrétaire d’État de l’Église palmarienne durant tout le pontificat de Grégoire XVII ; ce dernier l’avait désigné le 24 octobre 2000 comme son successeur, selon des textes officiels de l’Église palmarienne. Durant des années, cependant, les fidèles pensaient que Grégoire XVII serait le dernier pape. Comme le reconnut Pierre II dans un texte du 9 août 2005, l’attente des événements apocalyptiques avait fini par “user” la patience de certains fidèles : “Il est vrai que, durant les longues années de l’histoire de Palmar, beaucoup de ceux qui étaient des fidèles palmariens sont tombés face au retard des grands événements encore à venir.” La tonalité apocalyptique ne diminua cependant pas : Pierre II déclara comme vérité infaillible que l’Antéchrist était né en l’an 2000 à Bethlehem.
Il s’adressa aux fidèles à travers une série de lettres apostoliques. Celles-ci insistent fortement sur l’obéissance à l’Église et sur le strict respect des normes de vie palmariennes. Dans sa vingtième lettre apostolique, en date du 31 août 2008, il présente l’Église palmarienne comme “persécutée”, notamment par le biais d’anciens palmariens apostats. Il est vrai qu’Internet a offert à ces derniers des possibilités d’exprimer leurs vues, sans parler de vidéos qui circulent sur YouTube. En outre, il arrive que des émissions de télévision abordent le sujet (la dernière en date sur une chaîne de télévision irlandaise en septembre 2011), sur un ton toujours très critique à l’égard du groupe en raison de ses pratiques très strictes et de leurs conséquences sur la vie des fidèles.
Malade, Pierre II est mort le 15 juillet 2011. Son successeur est donc Grégoire XVIII, de son nom civil Gines Jesus Henández Martínez, né à Puebla de Mula (Murcie). Selon sa biographie officielle, S.S. Grégoire XVIII a étudié durant un an au séminaire de Tolède, avant de rejoindre l’OCSF sous le nom de Père Sergio Maria et de recevoir, le 2 décembre 1984, les ordinations sacerdotale et épiscopale. À partir de 1997, il fut suppléant du secrétaire d’État, avant d’occuper à son tour cette fonction lors de l’accession de Pierre II au Souverain Pontificat palmarien. Le 3 mars 2011, Pierre II aurait signé un décret pour régler sa succession en nommant le Père Sergio Maria ; mais il aurait déjà annoncé oralement et en privé son intention devant la communauté des religieux le 6 juillet 2010.
Couronné le 17 juillet 2011, le premier acte pontifical de Grégoire XVIII fut la canonisation de son prédécesseur. Outre la convocation déjà mentionnée du Troisième Saint et Grand Concile Palmarien pour 2012, l’une des décisions les plus notables prises par le nouveau pape a été de fixer la date de Pâques chaque année au 27 mars. En effet, selon l’enseignement palmarien, la mort du Christ a eu lieu le 25 mars de l’an 34. Dès 2012, la Semaine Sainte débutera donc le 20 mars pour se terminer le 27 (correspondant au dimanche de Pâques), indépendamment des jours de la semaine auxquels ces dates correspondent. Le jour liturgique qui correspondait jusqu’à maintenant au Vendredi Saint tombera donc la plupart du temps un autre jour que le vendredi, mais la célébration se fera “en mémoire du Vendredi Saint”.
Aucun observateur ne connaît exactement le nombre actuel de fidèles de l’Église palmarienne. Le chiffre de 2.000 est parfois mentionné, mais nous ignorons s’il correspond à la réalité. Certains observateurs évoquent 60 à 80 évêques et plusieurs dizaines de religieuses, mais, à nouveau, il s’agit de chiffres incontrôlables, même s’ils paraissent vraisemblables. Outre l’Espagne, des groupes palmariens existent dans les pays germanophones d’Europe, en Irlande (peut-être jusqu’à 300 fidèles dans ce pays), apparemment aussi dans d’autres pays anglophones et peut-être encore en Amérique du Sud.
Notons que l’Église palmarienne n’a actuellement aucun site web officiel : à l’heure où presque tout groupe religieux est présent en ligne, cela contribue certainement à l’entourer d’une image de discrétion, voire de secret. ll reste à voir quelles orientations choisira le nouveau pape, également en matière de communication.