Après une grande catastrophe qui frappe Israël, le Temple est reconstruit et l’homme qui a réussi à redresser le pays alors que tout semblait perdu est couronné roi. Cette « Rédemption » n’est cependant qu’un répit et ne va pas déboucher sur les temps messianiques espérés, mais sur un désastre pire encore. Tel est le sujet du roman de Yishaï Sarid, Le Troisième Temple, récemment publié en traduction française. Comme son titre l’indique, le Temple de Jérusalem est au cœur du récit. C’est ce qui m’a convaincu, après en avoir parcouru les premières pages dans une librairie, d’acheter ce livre et de le lire. C’était une bonne décision : ce roman est captivant.
L’espoir de voir le temple de Jérusalem reconstruit dans un avenir proche fait vibrer les imaginations de milieux tant juifs que chrétiens, convaincus que cet événement marquerait une étape cruciale dans le cheminement de l’humanité — même si les scénarios divergent sur ce qui se produirait une fois le Temple édifié. Ces perspectives sont étroitement associées à des croyances messianiques et apocalyptiques, mais revêtent aussi une dimension théopolitique, puisque le Mont du Temple à Jérusalem est aujourd’hui le site de lieux saints musulmans : la mosquée Al Aqsa et le Dôme du Rocher. Même si certains scénarios qui se veulent conciliants pensent que le Temple pourrait coexister avec les édifices musulmans, la plupart supposent leur destruction préalable, par exemple à la faveur d’un opportun tremblement de terre, ou d’une hypothétique acceptation de la construction de ce bâtiment par les musulmans en échange du démontage et du transfert de leurs monuments vers un autre site…
En 1999, j’avais visité à Jérusalem le Temple Institute, une organisation privée qui se consacre, selon sa propre description, « à tous les aspects du Saint Temple de Jérusalem, et au rôle central qu’il a rempli et qu’il remplira un jour à nouveau pour le bien-être spirituel tant d’Israël que de toutes les nations du monde ». Une exposition y présente une maquette du second temple (détruit en l’an 70 par les Romains) et la reconstitution minutieuse des ustensiles liturgiques nécessaires pour le service du Temple. Parmi les visiteurs, on trouve des groupes de chrétiens américains, qui ne sont pas les moins fervents…
Ce n’est cependant pas sur ce passionnant sujet que j’écris aujourd’hui, mais pour attirer l’attention sur ce roman de Yishaï Sarid, nouvellement publié en français, que j’ai découvert fortuitement sur les tables des nouveautés d’une librairie. Le Troisième Temple relève — nous dit l’éditeur — d’un genre « qu’on pourrait qualifier d’anticipation biblique ».
C’est un récit sombre et prenant. Il commence par une préface de la « commission scientifique », écrit à un moment qu’on devine se situer dans la seconde moitié du XXIe siècle :
« Lorsque le royaume de Juda fut conquis, la deuxième colonne s’empara de Jonathan, le jeune fils du roi Yehoaz.
« Pendant sa détention qui dura plusieurs mois dans la forteresse de Jaffa, le prince Jonathan prit ces notes qui furent conservées dans les archives du ministère de l’Information. Jusqu’à une date récente, ce témoignage de première main, d’une importance capitale pour la recherche sur le dernier royaume de Juda, n’était pas accessible aux chercheurs universitaires. En accord avec la loi des archives, cinquante ans s’étant écoulés depuis leur rédaction, les autorités compétentes nous ont confirmé qu’il n’existe aucun obstacle politique ou sécuritaire à ce que ces notes soient diffusées. » (p. 9)
« Royaume de Juda » ? Non, tout cela ne fait pas référence à un épisode de la Bible, mais à un récit que l’auteur place dans un temps proche, et qui semble peut-être revêtir une proximité plus grand encore avec l’actualité des derniers jours. Après la « Vaporisation », c’est-à-dire des frappes atomiques des Amalécites (les Arabes) qui ont détruit Haïfa et Tel Aviv, s’est produite contre toute attente la « Rédemption » : le père du narrateur a réussi à retourner la situation :
« Tel Aviv et Haïfa s’étaient transformés en charnier. De rares survivants qui avaient perdu toute forme humaine traînaient parmi les ruines. Les hôpitaux avaient disparu, les routes étaient envahies par des réfugiés qui fuyaient vers l’est par crainte des radiations. Mon père a su aimanter cette terrible peur et la soumettre à une détermination infaillible. Très vite, les survivants ont vu en lui un dirigeant capable de les sauver de la catastrophe, le seul qui savait ce qu’il fallait faire et qui n’avaient pas perdu la tête. Au lieu de se complaire dans le deuil et l’abattement, il a tourné son regard vers Jérusalem, Naplouse et Hébron, vers la montagne, vers tous ces endroits dont nous avons reçu l’ordre de chasser les Amalécites. » (p. 47)
Quinze jours plus tard, il ne restait plus « un seul Amalécite à l’ouest du Jourdain » et« le génie militaire a fait sauter les mosquées sur le mont du temple » (p. 49). L’Arche d’Alliance est retrouvée, et la pierre angulaire du Troisième Temple est posée. Face à un monde hostile à Israël, le père du narrateur est couronné « roi d’Israël, son sauveur et libérateur » (p. 50), auquel Dieu se serait révélé (mais l’a‑t-il vraiment entendu ?) :
« C’est toi que j’ai choisi pour faire revivre ma splendeur, dit Dieu dont la voix emplit le désert. […] Tu rebâtiras mon Temple et j’y résiderai. […] Si tu suis mes commandements, je soutiendrai ta descendance après toi et votre royaume ne tombera jamais. » (p. 53)
Le lecteur entend résonner ici l’écho de passages bibliques et le rappel de ces rois à la tête d’Israël, choisis par Dieu — mais pas sans conditions — et dont les errements finissent par leur attirer réprimandes et châtiments. Et c’est là le drame du livre : l’histoire se répète étrangement, avec le pouvoir qui finit par enivrer, les transgressions, et même les atteintes à la pureté du Temple pour préserver le pouvoir. Je ne veux pas dévoiler le récit, qui atteint un paroxysme terrible et haletant quand même le pire acte finit par sembler devenir légitime, dans le Temple, pour « sauver le royaume », dans une atmosphère apocalyptique, alors que tout est déjà perdu, après n’avoir pas voulu entendre les avertissements divins.
Il ne faut pas en dire plus, pour laisser toute la force de l’implacable déroulement des événements à ceux auxquels ces lignes donneront envie de lire Le Troisième Temple. L’auteur crée un climat fort, que la traduction semble avoir bien réussi rendre.
À côté de l’histoire elle-même, ce roman m’a d’abord fasciné par sa description d’une société moderne dans laquelle le culte du Temple, avec les sacrifices animaux quotidiens, et les lois bibliques auraient été remises en vigueur, avec le grand sanhédrin. « Hypnotique dans sa restitution des rituels » : la description de l’éditeur en quatrième page de couverture est adéquate. À elles seules, les pages évocatrices décrivant avec force la vie et les rites d’un prêtre du Temple, à travers les yeux, la foi et les sentiments du narrateur, justifient la lecture de ce livre.
Yishaï Sarid, Le Troisième Temple (trad. de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech), Arles, Actes Sud, 2018, 310 p.
[…] Le sacrifice sanglant de l’agneau : « Les sacrifices animaux ne pourront être offerts qu’une fois le Temple reconstruit. Mais, à l’enseigne du Temple Institute, des prêtres ont déjà tenté, dans cette vidéo de 2015, de reconstituer les sacrifices tels qu’ils devront être pratiqués le jour venu. » – Source : https://www.orbis.info/2018/05/roman-anticipation-le-troisieme-temple/ […]