Il est mort le matin de Pâques. Devant sa dépouille, des foules sont venues se recueillir ainsi que la plupart des grandes figures politiques indiennes, tous partis confondus. Sathya Sai Baba était peut-être le gourou indien contemporain le plus influent. Plus qu’un gourou, à vrai dire, aux yeux de ses disciples : rien moins qu’une incarnation divine. Mais « il a décidé de baisser le rideau sur cette incarnation », commentait l’un des médias en ligne consacrés à son message.
Né en 1926, il avait déclaré, dès les années 1940, être la réincarnation d’une figure sainte très populaire en Inde, Sai Baba de Shirdi (décédé en 1918). Sathya Sai Baba se fit notamment connaître par des phénomènes miraculeux, en particulier la matérialisation d’objets qui paraissaient surgis de nulle part — ce qui lui valut aussi quelques dénonciations de magiciens professionnels affirmant être capables de faire la même chose.
Son message spirituel reprenait des thèmes familiers de l’hindouisme en y unissant un message d’universalisme religieux centré autour de sa personne : car c’était celle-ci qui attirait les disciples. Avec un réel succès, notamment dans les classes moyennes urbaines indiennes, sans parler de groupes dans le monde entier. Chacun de ses disciples avait le sentiment d’entretenir avec une relation très personnelle et intime.
Chaque semaine, de grands quotidiens indiens reproduisaient ses discours. Son ashram dans la petite ville de Puttaparthi, dans le sud de l’Andhra Pradesh, attirait tant de visiteurs que ses disciples y firent même construire un aéroport pour avions de ligne ! Une salle pouvant accueillir 20.000 personnes y fut édifiée. Durant les dernières décennies, l’accent était de moins en moins mis sur les aspects miraculeux, mais beaucoup plus sur l’action sociale et éducative : hôpitaux, écoles, et même une université. Nombre de gourous indiens déploient de notables efforts sur ces terrains. Dans le cas de Sathya Sai Baba, toutes ces activités se trouvaient placées sous l’égide du Sri Sathya Sai Central Trust, constitué en 1972 ; mais chaque institution a sa propre structure.
Les disciples savaient que Sathya Sai Baba ne resterait pas avec eux éternellement : mais il avait annoncé qu’il serait en bonne santé jusqu’à l’âge de 96 ans et quitterait ce monde en 2022, avant de se réincarner dans le Karnataka. Pendant toute la durée de son hospitalisation, malgré un état décrit par les médecins comme « critique », la direction de l’organisation n’avait cessé d’affirmer sa confiance : la maladie de Sathya Sai Baba n’était qu’une mise à l’épreuve de la foi des disciples (Indo-Asian News Service, 6 avril 2011). Même si l’issue paraissait inévitable au vu des bulletins médicaux, certains dévots continuaient de croire que leur guide spirituel omnipotent allait se remettre. Son décès, bien avant 2022, pouvait donc causer quelque perplexité chez ses disciples.
Certains ont réagi avec incrédulité : ainsi, en Orissa, des centaines de dévots ont commencé à prier au lendemain du décès de Sathya Sai Baba, certain que celui-ci allait revenir à la vie : comment, ont-ils expliqué aux journalistes, des médecins sont-ils compétents pour décréter que Dieu est mort ? IIs ont donc prié en attendant un miracle (Times Of India, 25 avril 2011). D’autres ont tenté de réconcilier la prédiction d’une vie jusqu’à 96 ans avec la réalité d’un décès dix ans trop tôt : dès le jour du décès, l’un d’eux annonçait ainsi sur son site Internet qu’il aurait fallu calculer la durée de sa vie telles que l’avait annoncée Sathya Sai Baba en années traditionnelles lunaires, et non pas solaires. D’autres, enfin, sans doute les plus nombreux, concluent que ce départ prématuré a été le fait de la volonté de Sai Baba, même si l’on ne comprend pas les raisons.
La question est maintenant celle de l’avenir de l’organisation. Un scénario classique est celui du passage d’une autorité charismatique à une direction plus bureaucratique. Mais Sathya Sai Baba a compliqué par avance ce processus, en annonçant qu’il se réincarnerait dans les années suivant sa mort, dans le Karnataka, et que cette nouvelle incarnation prendrait le nom de Prema Sai. Les dévots regardent donc plein d’espoir vers l’avenir. Mais l’on devine déjà la difficulté qu’il pourra y avoir à déterminer l’identité de la future incarnation. Et, le jour où un ou des prétendants à ce titre se manifesteront éventuellement, rien ne dit que les responsables de l’organisation seront unanimement convaincus de la légitimité de l’un d’eux et seront prêts à lui remettre le contrôle du mouvement et de ses biens.
Pour l’heure, malgré l’absence physique de celui autour duquel tournait le mouvement, celui-ci poursuit ses activités, même s’il est peu probable que des foules aussi grandes que par le passé se rendent à Puttaparthi ; il reste à voir deviendra un lieu de pèlerinage ou trouvera un moyen de se réinventer à travers de nouvelles orientations. Le Sri Sathya Sai Central Trust continue de gérer les projets lancés à l’initiative de Sathya Sai Baba, mais, tandis que bruissent les rumeurs sur de possibles luttes de pouvoir, il a décidé de ne nommer aucun président, estimant que personne n’est en mesure de succéder à Sathya Sai Baba à la tête de la structure et qu’il resterait donc après sa mort le président permanent du Trust (Indo-Asian News Service, 17 mai 2011). Cependant, maintenant que le fondateur du mouvement a quitté son corps physique, le rôle des structures de décision et de gestion du mouvement devient plus important qu’il ne l’était du vivant de Sathya Sai Baba. Quant aux disciples convaincus, ils affichent leur sérénité : quoi qu’il arrive, ce sera de toute façon la volonté du gourou défunt (LiveMint.com, 17 mai 2011).
Une partie du texte ci-dessus a été présenté dans le cadre d’une chronique de Jean-François Mayer sur les ondes de la Radio Suiss Romande, dans le cadre de l’émission Hautes Fréquences, le 15 mai 2011.
L’illustration est extraite du reportage filmé diffusé par les disciples de Sathya Sai Baba pour montrer la foule venue se recueillir devant sa dépouille dans l’ashram de Puttaparthi au lendemain du décès.