En ce soir du 21 décembre 2012, mon intention était d’aller assister à l’une des réunions de méditation annoncées ici et là en Suisse. Observant depuis assez longtemps déjà les développements autour des attentes liées à 2012, cela aurait été une suite logique à mon enquête. Mais j’y ai finalement renoncé : un sentiment de saturation par rapport à toute l’agitation à ce sujet. D’autant plus que ce qui s’est passé est exactement ce que j’attendais – et je ne parle pas simplement ici de la non-réalisation d’un événement aujourd’hui.
Je vais m’intéresser à l’après 21 décembre 2012. Mais pour l’instant, il me semble que c’est le bon moment pour quelques réflexions personnelles et libres, à chaud, sur le phénomène 2012.
Ces notes compléteront mon texte de synthèse mis en ligne hier sur le site Religioscope pour faire le point sur le 21 décembre 2012 et les spéculations suscitées par le calendrier maya ainsi que mon article sur le sujet publié récemment dans un ouvrage collectif sur La Fin du Monde (Genève, Labor et Fides, 2012).
Le retour des ‘grandes peurs de l’an 2000’
Ce n’est pas ma première fin du monde, si je puis m’exprimer ainsi. J’ai régulièrement été sollicité ces derniers mois, mais pas plus qu’en 1999. Cette année-là, une excitation semblable s’était créée autour du bug de l’an 2000, avec la crainte de voir ordinateurs et systèmes liés à l’informatique cesser de fonctionner. Et puisqu’il s’agissait de la deux millième année de l’ère chrétienne, nombre d’auteurs ou de journalistes prédisaient doctement des risques d’événements graves, comme des suicides collectifs de sectes religieuses ou des actes violents. Des services gouvernementaux s’inquiétèrent, des rapports furent publiés, plusieurs chercheurs se trouvèrent invités à conférer avec des policiers et autres responsables de sécurité de plusieurs pays… il est vrai que des affaires dramatiques et encore récentes pouvaient susciter des craintes, car les années 1990 avaient connu des épisodes tels que ceux des Branch Davidians, de l’Ordre du Temple Solaire et d’Aum Shinrikyo.
Je passai mon temps à expliquer que je n’avais découvert aucun groupe se préparant à des actes graves liés au tournant de l’an 2000. Cela semblait frustrant pour nombre d’interlocuteurs, qui persistaient à croire qu’il ne pouvait y avoir de fumée sans feu, puisque tout le monde en parlait – et chaque article renforçait les soupçons, par effet cumulatif. Quelques-uns en faisaient leur fonds de commerce… Comme je le disais en octobre 1999 lors d’une conférence sur les sectes et mouvements religieux face à l’an 2000 (téléchargeable en PDF, 1,6 Mo), après quelques appels de journalistes manifestement enclins à faire enfler la rumeur, “je me permis de leur dire qu’il ne me paraissait pas y avoir dans notre pays une psychose de l’an 2000, mais que, si les médias commençaient à s’interroger quotidiennement sur l’existence d’une telle psychose, elle pourrait bien finir par se diffuser!”
Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait aucun groupe religieux susceptible de commettre des actes graves ou violents : la terrible dérive du Movement for the Restoration of the Ten Commandments of God, en Ouganda, avec plusieurs centaines de victimes en mars 2000, sur laquelle j’allai ensuite enquêter sur place à deux reprises, le confirma tragiquement. Mais c’était autre chose que la fixation de médias et d’autres intervenants sur le passage de 1999 à l’an 2000, comme si la date en elle-même devait créer une impulsion dangereuse. À partir de l’année suivante, avec les événements du 11 septembre 2001, d’autres menaces vinrent occuper le devant de la scène et reléguer les “sectes apocalyptiques” loin derrière…
J’ai eu le sentiment de revivre le même scénario avec le 21 décembre 2012. À partir de 2009 et de la diffusion du thème de 2012 à travers le film d’Emmerich, je me suis dit qu’il y aurait là un phénomène digne d’attention, puisque le sujet était en train de gagner la culture populaire, même si c’était principalement sous l’angle catastrophiste. J’ai donc commencé à recueillir du matériel et, dès le printemps 2011, à assister à des réunions de cercles “croyants” abordant le calendrier maya et 2012. Très vite, j’ai constaté deux choses :
- Même si les intervenants disaient qu’on ne pouvait exclure des catastrophes, tous ces groupes mettaient avant tout l’accent sur le 21 décembre 2012 comme charnière ou symbole d’une période de transition vers un monde plus juste et plus harmonieux, éventuellement après un temps de turbulences plus ou moins graves. C’était un message fondamentalement optimiste, ce qui m’amena à évoquer les courants “croyants” autour de 2012 comme revitalisation des espérances collectives du New Age.Je découvris des auteurs catastrophistes, voyant le 21 décembre 2012 comme le moment ou le début de cataclysmes planétaires, mais il s’agissait la plupart du temps d’individus – et ces individus, surtout présents virtuellement, ne semblent d’avoir eu guère de succès dans leurs tentatives d’organiser la survie de communautés en cas de réalisation de leurs prévisions. Il y avait aussi des personnes diffusant des vidéos spectaculaires de destruction de la Terre sur YouTube (séquences souvent extraites de films catastrophes de Hollywood), ce qui contribua à inquiéter certains internautes, notamment adolescents, et à accréditer l’idée d’une attente apocalyptique.
- Tout le monde avait entendu parler de 2012 dans les milieux de la “religiosité parallèle” et les ouvrages à ce sujet proliféraient (encore plus en anglais ou en allemand qu’en français). En revanche, je découvris moins de réunions spécifiquement consacrées au calendrier maya et au 21 décembre 2012 que je ne l’avais prévu. Il ne suffisait pas d’aborder ce sujet pour attirer un public. Dans certains cas, 2012 était utilisé comme une accroche publicitaire. En outre, aucune des personnes que j’écoutai ne plaçait tous ses espoirs dans cette date ou n’en faisait l’axe de son message : pour la plupart, il s’agissait d’un thème de plus dans un répertoire vaste et toujours susceptible d’être adapté et réagencé. Clairement, ceux qui parlaient de 2012 y voyaient un argument supplémentaire, une impulsion de plus, mais ne s’apprêtaient pas à fermer boutique à la fin de l’année 2012. Sans oublier que le milieu de chercheurs spirituels avec lequel ils se trouvaient en interaction est coutumier de l’utilisation éclectique d’une variété de références.
Seule une idée clef émergeait : celle de la nécessité et de l’inéluctabilité du changement vers un nouveau paradigme, car le monde ne peut continuer tel qu’il est – une déjà vieille conviction des courants évolutionnistes du Nouvel Age, dans le sillage duquel s’inscrivait la genèse des spéculations sur le 21 décembre 2012.
La chasse à l’illuminé est ouverte !
C’est ce que je m’efforçai d’expliquer à des journalistes ou lors de conférences. Il ne s’agissait pas de nier l’existence de peurs de catastrophes autour du 21 décembre 2012, mais celles-ci n’étaient pas tellement le fait de “groupes apocalyptiques”. Cela relevait de quelque chose de plus diffus, alimenté par certains auteurs et par le malaxage constant d’informations sur Internet. Surtout, les médias jouaient ici un rôle très ambigu de caisse de résonance. Bien sûr, les articles entendaient souvent démonter (ou ridiculiser) les craintes à propos du calendrier maya et de 2012, mais en martelant le slogan de la “fin du monde”. Plus que la mise en cause des spéculations, il ne pouvait que subsister, dans une partie du public, l’idée que circulaient des préoccupations à ce sujet. Le “sommet”, si l’on peut dire, était atteint par des magazines commerciaux de kiosques de gare, avec des photographies impressionnantes de destructions et cataclysmes, d’énumération de prophéties sur une fin prochaine, tout en incluant des observations critiques d’hommes de science pour expliquer que les craintes n’avaient pas de fondement : ces magazines, comme bien d’autres médias, pouvaient à la fois exploiter les peurs et affirmer vertueusement essayer d’apaiser celles-ci. Comme nous le savons bien, les commentaires rassurants de spécialistes ne pèsent pas lourd en comparaison de l’empreinte laissée par des images-chocs…
De la même façon que, en 1999, les médias traquaient les “sectes apocalyptiques” prétendument en train de préparer de sinistres scénarios, en 2012 ils ont fait la chasse aux “illuminés”. J’ai eu des appels de chaînes de télévision, notamment, en quête d’un tel gibier. De gentils pratiquants de méditation New Age affirmant paisiblement que rien n’allait se passer, mais que le monde évoluerait vers un nouveau niveau de conscience, ou que les événements du 21 décembre 2012 se joueraient sur un plan subtil, ne les intéressaient pas. Il leur fallait quelque chose de plus pittoresque, préoccupant, croustillant. Comme en 1999, ils étaient manifestement déçus de ne pas trouver des groupes correspondant aux clichés des sectes de films ou de bandes dessinées. Mais chacun semblait postuler que de tels personnages proliféraient.
Il est vrai qu’on croise, dans ces milieux, des thèses et croyances parfois étranges : cela ne signifie pas que leurs adeptes reflètent la caricature de l’illuminé ou du prophète apocalyptique. Bien sûr, parmi les milliards d’habitants de la planète, rien ne permettait d’exclure qu’une poignée de gens, quelque part, commettent des actes graves en relation avec les attentes autour du 21 décembre : tout en ayant la prudence de le préciser, je me devais de dire honnêtement n’avoir rencontré aucun profil de ce genre.
Le sommet a été atteint ce 21 décembre à Bugarach, le “village de l’Apocalypse”, où j’ai décidé il y a plusieurs semaines déjà qu’il ne faudrait surtout pas aller ce jour-là, car je m’y retrouverais à répondre à des journalistes désespérant de se mettre un “illuminé” sous la dent. Il y avait à Bugarach 260 journalistes accrédités, ai-je appris en lisant les articles publiés en ligne aujourd’hui – et, piégés par leur propre discours, ils ont eu le plus grand mal à trouver les interlocuteurs espérés, même si quelques personnages pittoresques ont saisi cette belle occasion de répondre aux interviews – sans suicide collectif ou préparatifs d’apocalypse, rien n’est parfait dans le monde du scoop. J’ai été particulièrement amusé de voir, dans un reportage, l’air consterné d’un journaliste japonais qui s’inquiétait déjà du mécontement de son chef s’il ne réussissait pas à dénicher les individus bizarres s’apprêtant à converger vers Bugarach pour échapper à la fin du monde. Il aurait mieux fait de se rendre à l’une des célébrations du 21 décembre 2012 en Amérique centrale, comme je l’avais suggéré d’ailleurs à plusieurs journalistes : il aurait pu en ramener des images colorés de groupes mystico-spirituels rassemblés sur d’anciens sites précolombiens – sans apocalypse cependant.
L’apocalypse est un jeu vidéo
Le 21 décembre 2012 a pourtant été un extraordinaire succès : grâce aux médias et au battage autour de ce thème (car la contribution hollywoodienne avec le film 2012 n’aurait pas suffi à maintenir l’élan), et aussi par la circulation d’informations sur Internet, tout le monde était au courant de 2012 et en parlait. Télévisions et radios y ont consacré des émissions, élargissant souvent la perspective au thème de la fin du monde. Publicités et soirées festives y ont trouvé une source d’inspiration. Une théorie issue de courants numériquement modestes, celle de croyants au New Age, s’est répandue dans la culture populaire.
Des gens ont eu peur : des enseignants témoignent que des adolescents s’inquiétaient vraiment de vivre la fin du monde et de ne jamais arriver à l’âge adulte. Mais souvent avec un mélange de crainte et de scepticisme, en y croyant un peu, sans toujours y croire vraiment. Pas seulement des adolescents, d’ailleurs : un commerçant de ma ville me disait cette semaine connaître plusieurs clients envisageant sérieusement la possibilité de cataclysmes. Intrigué, je lui demandai ce que ces personnes feraient le 21 décembre : se réfugier quelque part ou constituer des réserves de nourriture?… Non, me répondit mon interlocuteur : ils espèrent que rien ne se passera malgré tout. Ce genre d’attitude résume assez bien le fonctionnement des craintes diffuses autour de 2012 – dont la plupart de ces gens n’auraient probablement jamais entendu parler sans les relais médiatiques. En tout cas, ceux qui semblent avoir eu le plus peur des cataclysmes n’étaient pas les “illuminés”…
En dehors de groupes “croyants” qui estiment que nous nous sommes engagés un peu plus avant dans un processus évolutif à cette date et que le monde va profondément changer dans les années à venir, le 21 décembre 2012 aura été pour beaucoup de gens l’occasion de plaisanter ou de faire la fête : la date tombant opportunément sur un vendredi, les célébrations de la fin du monde n’ont pas manqué. Et il suffit de suivre un peu le thème “fin du monde” sur les réseaux sociaux pour découvrir d’innombrables commentaires ironiques et amusés.
Peut-être faudrait-il en rester à ce constat. Mais difficile de ne pas y discerner une autre face de 2012 : la fin du monde comme paradoxale pause ludique, un peu comme un scénario de jeu vidéo. Mais n’est-ce que cela ? Un prétexte à s’amuser ? Ou l’amusement devient-il ici exorcisme de notre crainte individuelle de la fin inévitable et de nos craintes collectives pour la planète ? Fêter la fin du monde comme exutoire bienvenu et affirmation optimiste pour l’avenir de l’humanité ? ou danser jusqu’à l’épuisement pour oublier, dans un grand tournoiement apocalyptique ne laissant plus de place aux interrogations ? Et si la fin du monde était, malgré tout, une affaire sérieuse ?
Jean-François Mayer dit
Et pour compléter cet article, une petite anecdote de ce jour :
http://mayer.im/post/38548027180/2012–12-fin-du-monde
michel ardan dit
Il fallait consulter les “people” ( gratuit ).Là, notre petit nippon aurait appris que suite à l’invasion gendarmesque de leur village, quelques jeunes passionnés … de sentiers GR avaient retrouvé d’autres traditions, plus récentes : les maquis FTP/FFI et la lutte contre l’oppresseur !…
Si l’affaire avait … “dérapé”, ces jeunes se seraient “cosmiquement” réunis avec ceux du pays Maya : découpé aujourd’hui par plusieurs frontières de l’Amérique Centrale ( Mexique, Guatemala, Honduras, Salvador ..) , ces populations autochtones continuent à subir la répression des colonisateurs et sont sans illusion sur la légitimité des institutions !…