À l’heure où l’on s’inquiète de l’inculture dans le domaine religieux et où nombre de voix soulignent la nécessité d’une solide information sur les religions, la direction de la Radio Télévision Suisse (RTS) prend une initiative bizarre, suscitant irritation et perplexité : dans le cadre des mesures d’économie décidées par la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR), la RTS a annoncé sa décision de supprimer dès 2017 les trois magazines de la rédaction RTSreligion : À vue d’esprit (Espace 2), Faut pas croire (RTSUn) et Hautes fréquences (La Première), décapitant ainsi l’offre des magazines religieux des chaînes nationales de radio et de télévision en Suisse romande. À croire que les responsables de la RTS vivent dans une bulle, loin des préoccupations du monde, alors qu’on s’attendrait plutôt à voir des responsables de médias ayant la chance de disposer d’une telle équipe rédactionnelle spécialisée penser à lui allouer des moyens supplémentaires… Nombre de téléspectateurs et d’auditeurs qui apprécient les prestations offertes jusqu’à maintenant par la RTS dans le domaine religieux sont choqués par cette décision. Des initiatives sont en cours pour réagir et demander à la RTS de reconsidérer son approche. Dans ce cadre, j’aimerais expliquer pourquoi la décision de la RTS est maladroite et pourquoi le maintien d’une telle offre me semble important.
Depuis des années, je connais l’équipe de RTSreligion et j’apprécie le travail qu’elle fournit. J’ai eu l’occasion d’intervenir fréquemment dans des émissions radiophoniques ou télévisées produites par cette rédaction spécialisée dans le fait religieux. Quelques explications qu’on peut lire sur le site de RTSreligion permettent de comprendre la nature et l’originalité de cette démarche :
« RTSreligion est un partenariat entre la Radio Télévision Suisse (RTS), Cath-Info, Centre des médias catholiques (anciennement Centre Catholique de Radio et Télévision, CCRT) et Médias-Pro, le Département protestant des médias. »
« Alors que ces rendez-vous étaient par le passé préparés et animés par des pasteurs, diacres et curés, l’évolution de la société et des médias a fait apparaître le besoin d’information religieuse, avec une dimension journalistique affirmée, en télévision comme en radio. Aujourd’hui, la rédaction de RTSreligion se compose de journalistes et producteurs rompus aux questions religieuses. Leur formation satisfait aux exigences de la profession. Ils sont engagés par Médias-Pro (qui dépend des Églises réformées de Suisse romande) et Cath-Info (qui dépend de l’Église catholique). Ces deux services assument les coûts éditoriaux liés aux offices religieux et sont les employeurs des journalistes et producteurs des magazines, alors que les moyens techniques et les coûts éditoriaux des magazines sont assumés par la RTS. »
Les émissions de RTSreligion font pleinement partie des programmes de la RTS, remplissant et respectant le mandat du service public. Unique en Suisse, ce partenariat a été renouvelé par une convention dans le cadre du processus de convergence radio-télévision-multimédia. RTS religion traite donc du religieux d’ici et d’ailleurs au sens large, rendant compte de l’héritage religieux de la Suisse romande, en tenant compte des questions minoritaires. »
La réussite de RTSreligion est d’avoir dépassé le cadre d’émissions de nature confessionnelle — tout en accordant leur juste place aux Églises historiques dans le traitement de l’information — pour aboutir, de plus en plus, à un véritable travail d’information et d’analyse sur les questions religieuses. Elle parvient à couvrir à la fois l’actualité confessionnelle (avec la contribution financière des Églises, d’ailleurs) et à proposer une actualité religieuse généraliste, en toute indépendance et en prêtant attention aux courants spirituels de notre temps.
J’ai reçu plus d’un témoignage montrant que les émissions produites par RTSreligion n’intéressent pas seulement les membres des Églises catholique romaine et réformée, mais aussi un public bigarré de croyants et d’incroyants aux orientations les plus variées. Certainement la collaboration de journalistes d’origine tant catholique que protestante au sein d’une même rédaction a‑t-elle aussi favorisé cette ouverture.
La démarche est donc différente de celle de chaînes confessionnelles, comme la chaîne catholique KTO en France. Avec un mélange d’empathie et de capacité au recul critique, le produit est à certains égards plus proche de celle d’une émission telle que Et dieu dans tout ça ? en Belgique. L’évolution de RTSreligion a en tout cas débouché sur un « produit » radio-télévision décliné en plusieurs émissions, probablement sans véritable équivalent en Europe francophone. Ces émissions religieuses offrent un exemple de collaboration fructueuse entre des chaînes nationales, les services médias des principales Églises du pays et une équipe de journalistes spécialisés.
Voici que ce travail se trouve soudain mis en cause par la décision de la RTS de renoncer à trois émissions à l’échéance de la convention qui lie la RTS à ses partenaires Médias-Pro et Cath-Info. (La RTS continuera en revanche de diffuser les messes et cultes radiodiffusés et télévisés.) Selon les informations publiées dans les médias, la RTS se propose d’économiser 11,4 millions de francs suisses entre 2016 et 2018, dont 6,9 millions dans les programmes (sur un budget total de 393 millions). Elle ne procède pas à des coupes linéaires, ce qui est sans doute raisonnable, puisqu’il n’est pas possible d’économiser partout de la même façon. Mais, alors que l’économie totale à réaliser représente environ 3 % du budget, la coupe pour les émissions religieuses est drastique : une réduction de 1,2 million sur un budget de 2,8 millions, soit 40 % de la somme allouée aux émissions religieuses ! Même en dehors de toute coupe linéaire, difficile de trouver dans une telle mesure le moindre sens des proportions.
Sans doute la RTS a‑t-elle pensé s’attaquer ainsi à un secteur marginal et qui ne susciterait l’émotion que de quelques fidèles vieillissants. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle s’est lourdement trompée. De nombreuses prises de position critiques ont été publiées. Un comité — auquel je participe — a lancé le 23 novembre 2015, à la demande de plusieurs personnes choquées par cette mesure, une pétition en ligne, qui a recueilli des milliers de signatures en quelques jours (elle atteint les 5.000 à l’heure où je mets en ligne cet article, quatre jours après son lancement et malgré une douzaine d’heures de panne technique). Et l’on constate que le soutien vient de tous côtés : de milieux religieux, bien sûr, mais aussi d’agnostiques ou d’athées ; et de personnes qui se trouvent sur tout le spectre politique, de la droite à la gauche. Le seul point commun des signataires est d’apprécier des émissions de qualité et d’avoir une haute idée de la mission du service public.
La RTS est en effet un service public, au bénéfice d’une concession et des revenus d’une redevance radio et TV. Comme le rappelle le site de la SSR, « selon la loi sur la radio et la télévision (LRTV), toute personne domiciliée en Suisse, équipée d’un poste de radio ou de télévision, est tenue de payer la redevance de réception, indépendamment des chaînes regardées ou des stations écoutées, indépendamment également du mode de réception. » Depuis mai 2015, cette redevance s’élève annuellement à la somme respectable 451,10 francs suisses par foyer (indépendamment du nombre de personnes qui le composent). Une petite partie de cette redevance va aux radios et télévisions privées, mais la plus grande partie est reçue par la SSR. En outre, celle-ci a également le droit d’obtenir une source de revenus supplémentaire grâce à des séquences publicitaires (sur les chaînes de télévision): ainsi, selon des indications fournies par la RTS, la redevance représente environ 75 % de ses revenus et les recettes publicitaires autour de 25 %. La SSR bénéficie, dans l’actuel environnement médiatique avec ses difficultés, d’une situation privilégiée, pouvant jouer en même temps sur deux tableaux. Mais cela n’est acceptable qu’à condition qu’elle remplisse un mandat pas uniquement fondé sur le taux d’audience (ce qu’elle fait par exemple en finançant des programmes dans toutes les langues du pays).
Si des émissions religieuses avaient été déplacées à des heures moins favorables pour des questions liées aux ressources publicitaires, on aurait pu le déplorer, mais le comprendre, à une époque où il est possible d’enregistrer des émissions ou de les retrouver en ligne. S’il s’était agi de renoncer à un magazine pour le remplacer par un autre, quelques auditeurs ou téléspectateurs se plaindraient sans doute, mais il n’y aurait pas lieu de lancer des actions de protestation et une pétition : il est normal que des programmes évoluent. Si la RTS avait proposé une nouvelle formule et un nouvel habillement pour ces magazines, rien à redire. L’annonce de la RTS est autre : elle coupe drastiquement dans le secteur des magazines religieux, sans commune mesure avec le pourcentage du budget général qui doit être réduit. Paradoxalement, elle le fait à l’heure même où l’on souligne partout la nécessité d’une meilleure information sur les religions et les questions qui leur sont liées.
La RTS répond qu’il n’est pas question de renoncer aux thématiques religieuses : c’est le moins qu’on puisse espérer, en effet, et on ne voit pas en quoi cela devrait nous inspirer de la reconnaissance ! Mais la RTS argumente que, dans un contexte économique dégradé, elle cherche à réaliser cette économie en intégrant l’information religieuse dans les programmes généralistes. Cette parade aux critiques relève de la pirouette. Le traitement de thèmes liés aux religions se fait déjà dans le cadre des émissions d’actualité, par exemple, c’est bien normal, et cela ne justifie en rien la suppression de magazines spécifiques. Pour prendre un autre exemple : l’actualité sportive est elle aussi traitée dans l’information généraliste, mais la direction des programmes ne propose pas de réduire de moitié le budget de la rédaction sportive des différentes chaînes.
La véritable raison suggérée, mais de façon discrète, car les responsables de la RTS sentent bien qu’ils s’aventurent sur un terrain miné, est que les émissions spécialisées sont suivies par un public peu nombreux. Admettons que c’est peut-être le cas : encore qu’il faudrait disposer de taux d’écoute précis (incluant podcasts et Internet) et d’analyses détaillées, ainsi que d’une mise en relation avec les grilles horaires (il est clair que certaines heures sont moins favorables que d’autres, pour des raisons variées, par exemple la concurrence avec une émission à forte écoute sur une autre chaîne ou un moment de la journée avec moins d’auditeurs ou de téléspectateurs). Même si c’est le cas, la justification que pourrait ainsi donner une chaîne commerciale ne saurait être revendiquée par une chaîne de service public. Cette dernière reçoit le substantiel produit d’une redevance précisément pour ne pas être contrainte par des logiques commerciales, et pouvoir assurer des émissions de qualité qui ne pourraient être financées sur une base purement commerciale : elle a pour mission de couvrir une palette de thèmes importants pour la société, indépendamment de l’audience, et nul ne peut contester que les religions y appartiennent.
De plus, la décision de la RTS ne supprime pas seulement des émissions : elle décapite une rédaction, avec des compétences spécifiques, des connaissances spécialisées, des réseaux de personnes ressources dépassant de loin les frontières nationales. Des producteurs ou journalistes généralistes peuvent faire du bon travail aussi sur des sujets religieux, bien entendu : mais une rédaction spécialisée offre une valeur ajoutée inestimable. Si la RTS suit sa logique jusqu’au bout, elle devrait demander aux journalistes sportifs d’analyser l’actualité économique ou aux journalistes politiques de commenter les compétitions sportives.
L’absurdité saute aux yeux… sauf quand il s’agit de religion. Car c’est un sujet sur lequel tout le monde a un avis et s’exprime même sans grandes connaissances. La direction des programmes de la RTS n’est, malheureusement, pas la seule à sous-estimer l’importance d’un apport spécialisé qui ne se manifeste pas seulement par l’appel à des intervenants extérieurs qualifiés, mais aussi par les ressources internes d’une rédaction dédiée.
À la racine de ma réaction de protestation contre ces mesures malvenues, il y a l’affirmation qu’une radio et une télévision de service public doivent offrir, outre des prestations généralistes, des apports spécifiques de qualité, qui les distinguent de chaînes fonctionnant selon une logique commerciale et les impératifs de l’audimat. À l’heure où chacun a accès à des dizaines de chaînes (ce qui n’était pas le cas il y a trente ou quarante ans), un accent particulier doit être mis sur la volonté de préserver ce qui n’est pas proposé ailleurs : par exemple des thèmes liés au pays (il est normal que soient proposées des émissions de musique populaire suisse, par exemple, que le public ne pourra écouter ailleurs) ou des émissions dont on ne peut trouver de véritables équivalents dans les pays voisins (ce qui est le cas des émissions de RTSreligion, comme je l’ai déjà souligné). Je devine par avance que des cadres de la RTS seront tentés de me reprocher de vouloir imposer un modèle de télévision destiné à un petit public, mais ce n’est nullement le cas : les émissions populaires ont aussi leur place dans ce modèle. D’ailleurs, il suffit de voir le nombre d’heures consacré aux émissions de RTSreligion par rapport au total pour se rendre compte que l’objection ne serait guère recevable.
À l’inverse, il n’y a aucune raison impérative pour qu’une radio de service public diffuse tous les « tubes » internationaux, que l’auditeur peut entendre sur n’importe quelle autre chaîne de la même zone linguistique ; je n’ai aucune objection à ce qu’elle le fasse, bien entendu — mais seulement à condition que cela ne compromette pas des tâches plus importantes et qui ne sont pas remplies ailleurs de la même façon. Ou encore, je ne vois aucune raison pour qu’une télévision de service public diffuse des séries télévisées américaines, que le téléspectateur peut regarder sur de nombreuses autres chaînes, s’il y trouve quelque intérêt (je considère d’ailleurs qu’il est culturellement problématique de donner une telle place à ces productions de qualité souvent médiocre et porteuses de modèles culturels indésirables, mais c’est un autre sujet).
Je vois donc des émissions qu’il serait possible de supprimer sans le moindre dommage par rapport aux tâches du service public, ce qui permettrait d’augmenter la qualité de l’offre de la RTS et de réaliser des économies permettant de maintenir ou même d’augmenter le budget de magazines (ou de fictions) de qualité. Mais, me dira-t-on, avec quoi remplirait-on ces heures ? Il n’est pas nécessaire de le remplir ! En tout cas pour la télévision, il n’est pas indispensable d’émettre du matin au soir. Je me souviens d’une époque où les émissions de télévision, durant la semaine, commençaient en Suisse après 16h pour se terminer avant minuit. Même si l’on peut concevoir qu’une telle grille horaire serait un peu trop restreinte aujourd’hui, il est parfaitement possible de réduire les heures de diffusion des programmes télévisés de la RTS : cela permettrait vraisemblablement de réaliser les économies souhaitées.
Il ne faut voir ici qu’une piste parmi d’autres, et peut-être pas la meilleure. Ne disposant pas des chiffres détaillés ni des compétences pour les analyser, je ne suis pas en mesure de mettre en rapport les conséquences financières de telles suppressions, en lien avec les rentrées publicitaires pour des grilles horaires qui seraient supprimées : il est possible que les économies ne soient pas aussi importantes que je les imagine ici. Simplement, je ne veux pas me cantonner dans la position confortable de la personne qui déclare « il faudrait que…», « ils devraient…», sans se soucier des possibilités pratiques et des impératifs auxquels se trouve confrontée la SSR, dont j’ai bien conscience. Je partage quelques idées qui me viennent, mais il y en a d’autres. J’entends surtout inciter à considérer d’autres options et à suivre une autre logique que celle qui semble en train de s’imposer à la RTS. L’évaluation pratique de ce qu’il est possible de faire concrètement sur la base de tels principes appartiendra ensuite aux personnes disposant de toutes les compétences et données pour appliquer des solutions réalistes et préservant des apports originaux, de qualité et à haute valeur ajoutée.
Au-delà de la décision spécifique qui a été prise, le choix de la RTS envoie un signal négatif symboliquement fort. C’est pourquoi j’invite mes lectrices et lecteurs à signer la pétition en ligne pour soutenir RTSreligion : ce qui est en jeu à court terme est le sort d’une rédaction spécialisée et de magazines religieux ; mais, derrière cet enjeu immédiat, c’est l’avenir des médias de service public et de leur qualité qui mérite notre attention.
Pétition en ligne (lancée le 23 novembre 2015): http://soutenonsrtsreligion.info/
Page Facebook : Communauté « Je soutiens RTSreligion »
Hashtag : #soutenonsRTSreligion
Philippe Boehler dit
Merci cher Monsieur Mayer…
Le hasard…ou plutôt la Providence font bien les choses…
J’ai ouvert un groupe Facebook le jour même du lancement de votre pétition.
Heureuse coïncidence ?.….……Je le souhaite.
<https://www.facebook.com/groups/716612301773582/
Nous comptons ce matin près de 600 membres..