Au mois de novembre, j’ai publié sur ce site un article expliquant pourquoi je m’opposais à la réduction drastique du budget de la rédaction de RTSreligion par suite des mesures d’économie auxquelles se trouve contrainte la direction de la Radio-Télévision Suisse (RTS). La pétition lancée pour soutenir RTSreligion a atteint un résultat dépassant tous les espoirs : en sept semaines, plus de 23.000 signatures ont été recueillies. Le 8 janvier 2015, une conférence de presse a eu lieu à Lausanne pour annoncer ce résultat et exposer aux médias les raisons qui ont poussé un comité de soutien à se former et à lancer cette pétition. J’étais entouré de figures politiques, membres ou anciens membres du Parlement fédéral : la conseillère nationale Ada Marra (Parti socialiste), des conseillers nationaux Dominique de Buman (Parti démocrate-chrétien) et Jacques-André Maire (Parti socialiste) ainsi que de l’ancien conseiller d’État et ancien conseiller national Claude Ruey (Parti libéral radical). Chacun de ces quatre intervenants a apporté des réflexions substantielles et constructives : les personnes présentes ont d’ailleurs souligné la qualité de la conférence de presse. Plusieurs médias suisses y ont donné écho. L’après-midi, une délégation est allée remettre les signatures à deux responsables de la RTS. Nous verrons ce que permettront d’atteindre dans les prochains mois les négociations entre la RTS et ses partenaires, Cath-Info (catholique) et Médias-pro (protestant). Je publie ci-après le texte de mon allocution introductive, qui doit être replacée dans le contexte d’une conférence de presse.
Allocution prononcée lors de la conférence de presse du 8 janvier 2015
Au nom du comité de soutien à la rédaction et aux émissions de RTSreligion, je vous remercie d’être venus aujourd’hui, à l’occasion de la présentation des résultats de la pétition que nous avons lancée le 23 novembre — quelques jours seulement après le choc de l’annonce faite par la direction de la RTS.
En effet, le 17 novembre, nous apprenions que la RTS, contrainte de réduire son budget d’environ 3%, avait décidé de réduire de 40% le budget des émissions religieuses. Alors que le budget de la RTS pour RTSreligion représente actuellement environ 0,7% du total, il devrait descendre dès 2017 à 0,4%. S’il s’était agi de supprimer une émission ou de remplacer un magazine par un autre, nous aurions pu le regretter, mais un mouvement de soutien n’aurait pas vu le jour et nous ne serions pas ce matin devant vous pour défendre la cause de RTSreligion. Cela appartiendrait au fonctionnement normal de chaînes de télévision et de radio, avec des renouvellements et changements au fil des ans.
Mais ce qui nous a été annoncé ici est d’une autre nature, avec des conséquences plus profondes : il s’agit non seulement de la suppression de trois magazines, mais aussi d’une décision qui décapite la rédaction de RTSreligion — je sais que la RTS n’apprécie guère le mot « décapiter », mais je n’en vois malheureusement pas de meilleur.
Et cette décision intervient alors même que s’exprime souvent, dans différents milieux de la société, croyants ou non, le besoin d’une information sérieuse et équilibrée sur le fait religieux. En Suisse, comme ailleurs en Europe, la nécessité en est soulignée non seulement dans les médias, mais aussi dans d’autres domaines, par exemple l’enseignement.
Or, en Europe francophone, ce qu’offre RTSreligion est probablement unique. Tout en assurant à la radio et à la télévision des services liés aux Églises historiques de notre pays (par exemple la retransmission de messes ou de cultes), RTSreligion a réussi à développer, à travers ses magazines, une information sur les religions et les spiritualités, qui n’est pas la voix des Églises, mais qui s’intéresse au fait religieux comme réalité sociale. RTSreligion représente donc plus que tel ou tel magazine de qualité : c’est un pôle de compétence journalistique en Suisse romande, sans équivalent à ma connaissance en Europe francophone. D’une certaine façon, d’une façon très suisse, la collaboration entre des services médias réformés et catholiques a débouché — de façon assez naturelle — sur un contenu qui dépasse la nature confessionnele d’émissions religieuses sur les chaînes de nos voisins français, par exemple.
RTSreligion ne produit donc pas seulement des émissions religieuses, mais des émissions d’information sur les religions et les spiritualités dans le monde contemporain. Ces émissions ne sont pas uniquement appréciées par des membres des Églises chrétiennes ou d’autres croyants, mais aussi par des incroyants, que leur absence de convictions religieuses personnelles n’empêche pas de considérer religions et spiritualités comme des réalités sociales et culturelles dignes d’attention.
Alors qu’elle a la chance de disposer d’une rédaction spécialisée et compétente, la RTS a pris l’ahurissante décision de lui porter ce qui risque bien d’être un coup fatal : on ne passe pas de 2,8 millions à 1,6 million sans conséquence (il faut y ajouter la contribution complémentaire des Églises, mais celle-ci n’est pas en cause). Alors qu’une structure telle que la RTS devrait être ravie de posséder déjà une telle rédaction spécialisée, elle décide de l’affaiblir justement au moment où cela paraît plus nécessaire que jamais. Et pas pour la remplacer par autre chose.
En partie grâce aux réseaux sociaux, qui ont rapidement relayé l’indignation, des personnes se sont retrouvées, un comité de soutien s’est formé et une pétition a été lancée.
La première à avoir suggéré le lancement d’une pétition a été Madame Marra, le jour même de l’annonce faire par la direction de la RTS. Je dois confesser ne pas signer souvent des pétitions : je préfère d’autres modes d’intervention dans le débat public. Mais dans ce cas, il est rapidement apparu que la seule réaction de milieux très spécifiques ne suffirait pas. La pétition a paru être le meilleur moyen de prendre la mesure du sentiment public : mais je dois dire que, en la lançant, je ne savais pas du tout quel écho elle aurait. Nous avons décidé de nous soumettre à cette épreuve de vérité.
« Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (Matthieu 14:31): j’aurais pu appliquer le verset biblique à la situation ! L’écho rencontré a dépassé toutes nos espérances : en dix jours, 10.000 signatures. Et aujourd’hui, nous avons atteint le cap des 23.000 ! J’ai commencé à voir arriver, jour après jour, dans ma case postale, des enveloppes par dizaines, en les ouvrant laborieusement pour comptabiliser et scanner les signatures. Car un peu plus de la moitié des signatures a été recueilli en ligne, et le reste sur papier.
Si cet exercice quotidien peut paraître fastidieux, je l’ai surtout trouvé encourageant, voire émouvant. Derrière chaque enveloppe, et j’en ai reçu des centaines, il y avait une personne qui avait pris la peine de s’engager, d’imprimer un formulaire, de le signer, dans certains cas de demander à des personnes autour d’elles de le signer, puis de préparer une enveloppe, de l’affranchir, de l’apporter à la poste. C’est à cela que j’ai mesuré le réel attachement du public à ce que représente RTSreligion — et à cette prise en compte des réalités religieuses dans les médias du service public.
Les signatures venaient de toute la Suisse romande, plus quelques-uns de la Suisse alémanique ou de pays voisins (n’oublions pas que les émissions sont également accessibles sur Internet). Tous les cantons m’ont paru assez équitablement représentés. Et plus d’une enveloppe contenait aussi un message, révélant la diversité de ce public : ils allaient de quelques lignes d’un jeune homme d’Aubonne (canton de Vaud), fier de m’annoncer que la vingtaine de signatures recueillies par lui venaient toutes de personnes de son âge, à la carte d’une dame de Treyvaux (canton de Fribourg), qui me priait gentiment de l’excuser de n’envoyer que 25 signatures, parce que ses 92 ans, à la campagne et sans voiture, l’empêchaient de les recueillir aussi activement qu’elle l’aurait souhaité !
Que de messages qui disaient : « Bravo pour votre action », « Merci de votre initiative », « Bonne chance », « Espérons que la RTS reviendra sur sa décision » !
Je veux me faire l’interprète de ces milliers de signataires. Derrière ces signatures, il y a des personnalités de la vie publique (et pas seulement des milieux religieux), mais aussi toutes ces voix représentant un large spectre de la population, des gens de nos villes et de nos villages, des personnes qui paient en outre la redevance radio-télévision, et qui disent à la direction de la RTS de revenir sur une décision malvenue.
C’est une pétition contre une décision de la RTS, certes : mais pour une RTS de qualité, une RTS qui se souvienne que sa situation privilégiée de média soutenu financé à 75% par la redevance implique aussi le devoir de maintenir une rédaction telle que RTSreligion à l’heure où personne ne doute de son utilité. La RTS a commis une erreur : mais il n’y a nulle honte à reconnaître son erreur et à la corriger. C’est l’appel que lancent 23.000 personnes aujourd’hui.
Lefebvre Philippe dit
Merci à vous, Jean-François, Mayer, merci au comité qui vous a rejoint, merci aux 23 000 personnes qui ont manifesté leur soutien et souhaitant que 2016 soit l’année où une décision inappropriée puisse être corrigée.
Marc Sermier dit
Je suis très heureux de cette réaction vigoureuse appuyée par des politiciens de partis différents et surtout du nombre de signatures pour soutenir ces émissions de grande qualité.
Il me semble important de garder une information et une réflexion sur le religieux dans les médias publics.