« Tu verras, c’est une petite ville dont tu auras vite fait le tour », me dit un ami lyonnais en apprenant que j’allais passer deux nuits à Paray-le-Monial. Il avait raison : la ville est petite et le visiteur a vite fait de la découvrir à pied. Mais il y plus de choses à y voir que je ne le soupçonnais, et le temps que j’y ai passé n’y a pas suffi. L’étonnant Musée du Hiéron, que je me suis réjoui de pouvoir enfin visiter, m’a en outre permis de découvrir une exposition temporaire, Cellules de nonnes, sur des objets dont j’ignorais même l’existence et qui représentent ces chambres dans lesquelles vivent les religieuses.
J’en dirai plus dans la dernière partie de cet article, mais il me faut d’abord parler de Paray-le-Monial et du Musée du Hiéron.
Paray-le-Monial, ville d’histoire et de pèlerinage
Commune d’un peu moins de 10.000 habitants, Paray-le-Monial a du charme. Le visiteur s’y sent bien, dans une atmosphère paisible, et s’y trouve aimablement accueilli, comme je l’ai constaté en voyant plusieurs habitants m’adresser spontanément la parole pendant mes promenades. On a tôt fait de remarquer que les autorités municipales prennent grand soin de la petite ville. Non seulement son cadre est soigné, mais la mise en valeur nocturne est très réussie.
L’histoire est bien présente à Paray-le-Monial, avec une belle basilique romane. Depuis 1875, celle-ci est dédiée au Sacré-Cœur. En effet, Paray-le-Monial a joué un rôle important dans la propagation de cette dévotion, à travers les apparitions reçues par une religieuse, Marguerite-Marie Alacoque (1647–1690), dans une chapelle que visitent les pèlerins. Sœur Marguerite-Marie fut canonisée en 1920, mais elle était loin de rencontrer l’approbation de toutes ses consœurs dans le couvent des visitandines de Paray, où elle passa la plus grande partie de sa vie adulte. Elle reçut cependant l’approbation d’un jésuite, le Père Claude de la Colombière (1641–1682), canonisé en 1992. La châsse dans laquelle repose le corps de ce dernier se trouve également dans une église de la ville.
Ville de pèlerinage — même si ceux-ci n’ont plus l’ampleur qu’ils connurent à la fin du XIXe siècle — le site de Paray-le-Monial a également reçu un nouvel élan sur le plan religieux, à partir du milieu des années 1970, à travers des rassemblements organisés dans le cadre du Renouveau charismatique, à l’initiative de la Communauté de l’Emmanuel. Surtout durant la période estivale, des sessions se succèdent et attirent des milliers de fidèles.
Un « musée eucharistique » : le Hiéron
Paray-le-Monial accueille aussi un musée peu commun. Construit spécifiquement pour cet usage, ce bâtiment est le fruit de la rencontre entre le P. Victor Drevon (1820–1880), un jésuite qui rêvait d’établir dans la ville un musée-bibliothèque autour de l’Eucharistie , et le baron Alexis de Sarachaga (1840–1918), qui rencontra Drevon lors d’un pèlerinage en 1873 et décida de consacrer sa fortune à ce projet. Le bâtiment fut inauguré en 1893. La bibliothèque ne s’y trouve plus, vendue en 1948 pour couvrir les frais de réfection du bâtiment. Fermé dans les années 1990 à la suite de dégâts causés par les eaux, le musée a été remarquablement rénové à l’initiative de la municipalité dans la première moitié des années 2000 et est de nouveau ouvert au public depuis 2005.
L’arrière-plan de cette initiative est plus complexe que ne le disent ces quelques lignes. Un ouvrage collectif issu d’un colloque organisé à l’occasion de la réouverture du Musée du Hiéron apporte, sous la plume d’historiens, la mise en contexte nécessaire et des informations sur les motivations du projet (Sophie Mouquin et Bernard Peyrous [dir.], Le Dieu invisible s’est rendu visible. La renaissance du musée eucharistique du Hiéron, Éd. de l’Emmanuel, 2007). Ou plutôt des projets, comme le note à juste titre Dominique Julia, « car le projet initial élaboré en compagnie du Père Drevon a considérablement évolué au fil du temps » ; rappelons que le jésuite décéda en 1880, privant le baron de celui qui était devenu son directeur spirituel.
Dans le contexte de la France du dernier quart du XIXe siècle, ces motivations revêtaient des dimensions également sociales et politiques de mobilisation catholique autour de l’Eucharistie, dans un combat contre le monde issu de la Révolution française. Sur le plan religieux, les orientations des auteurs du projet témoignaient d’une certaine variété de vues, comme cela est particulièrement illustré par le profil d’Alexis de Sarachaga y Lobanoff de Rostoff. D’origine à la fois espagnole et russe, il aspirait à « élaborer un vaste enseignement théologique et ecclésiologique en réaffirmant l’autorité de l’Église sous la monarchie d’un pape-roi », mais il était aussi attiré par des théories de l’ésotérisme chrétien et par la notion d’une Tradition primordiale dont la connaissance « permettrait de restaurer une science sacrée catholique », explique l’historien Patrick Lequet (dans le sillage des thèses de théologiens sur la « révélation primitive », comme le rappellent le P. Bernard Peyrous et Elisabeth Baranger dans un autre chapitre). Plus qu’un musée-bibliothèque, le Hiéron était envisagé comme un Temple-Palais où siégerait un collège de savants et de chercheurs, et duquel « émanerait un enseignement propre à rechristianiser la société française ». Ses vues aventureuses, « plus inspirées par l’hermétisme que par la théologie chrétienne », valurent à Alexis de Sarachaga des tensions avec la hiérarchie et le clergé catholiques. La dimension eschatologique était également présente : Sarachaga attendait le retour du Christ et le début de l’âge d’or pour l’an 2000, rappelle Lequet. Ses thèses furent en partie reprises par l’ésotériste Paul Le Cour (1871–1954), fondateur de la revue Atlantis en 1927.
Les successeurs du baron revinrent à une approche plus classiquement catholique. Aujourd’hui, après sa rénovation et son obtention du label de Musée de France, « l’identité catholique du musée est pleinement assumée » (comme l’indique bien la dénomination de « musée eucharistique »), explique sa conservatrice, Dominique Dendraël, mais sa vocation n’est plus celle qu’avait imaginée Sarachaga :
« La mission du musée pris en charge par la collectivité est bien d’enseigner le fait religieux dans sa dimension collective et anthropologique. Le parti pris délibérément historique de la présentation est devenu le nouveau cadre de travail, dépassant l’identité catholique initiale du musée. »
À l’instar d’autres musées d’art sacré en France, l’heureuse initiative de rénovation et de réouverture du Musée du Hiéron en a fait un de ces lieux qui introduisent les visiteurs à la connaissance du patrimoine religieux et à l’intelligence de celui-ci.
À la découverte des boîtes de nonnes
Alors que s’achevait ma visite du musée, j’ai failli manquer l’exposition temporaire, qui s’ouvrait l’après-midi même, mais était par bonheur déjà accessible. Cette exposition temporaire présente les dessins et peintures d’une religieuse parisienne de talent, Geneviève Gallois (1880–1962), mais elle m’a surtout captivé en me permettant de découvrir d’humbles objets que je ne connaissais pas : les boîtes de nonnes, parfois appelées « boîtes de carmélites » (improprement, car elles existent aussi pour d’autres ordres, même si les carmélites sont les religieuses les plus représentées). Dans le Midi, elles sont dénommées béatilles (« beatiho » en provençal). Une exposition consacrée aux boîtes des Carmels de cette région avait d’ailleurs été organisée en 2010 au Museon Arlaten, à Arles, et avait donné lieu à un ouvrage publié par les éditions Actes Sud, en relation avec une création musicale (ce volume est épuisé, mais on peut le trouver d’occasion).
Les objets exposés à Paray-le-Monial sont le fruit des efforts d’une estimable association dont j’ignorais tout, Trésors de Ferveur, créée en 1997 à Chalon-sur Saône pour « collecter, étudier, restaurer et exposer les objets de piété à usage domestique, réalisés le plus souvent par des religieuses mais aussi parfois par des artisans, à partir du 17e siècle et jusqu’à la Révolution, puis plus ‘pauvrement’ au 19e siècle », explique son site. En 2013, une précédente exposition avait déjà présenté quelque 80 boîtes au Carmel de Chalon. L’exposition qui vient de s’ouvrir à Paray-le-Monial a également été l’occasion pour Trésors de Ferveur de publier un catalogue, tout juste sorti des presses, présentant les photographies de presque toutes les 122 boîtes recueillies par l’association. C’est sa couverture qui illustre le début du présent article. Ce catalogue est disponible à la librairie-boutique du Musée du Hiéron ou directement auprès de Trésors de Ferveur.
La production des boîtes de nonnes (que les responsables de l’association Trésors de Ferveur préfèrent appeler « cellules de nonnes ») semble s’étendre du début du XVIIIe siècle jusqu’au XXe siècle, puisque le catalogue en présente une qui date des années 1950 (p. 96). Elles proviennent de la France, de l’Espagne, de la Suisse, de l’Allemagne (en allemand, on parle de Nonnenkästchen). La représentation la plus fréquente est celle d’une religieuse dans sa cellule, mais il existe d’autres thèmes également. Les représentations de religieux masculins sont rarissimes.
« Les boîtes sont souvent offertes à des bienfaiteurs et aux familles des moniales », explique Bernard Berthod, conservateur du Musée d’art religieux de Fourvière, dans l’un des deux textes qui ouvrent le catalogue. Une cellule de carmélite de 1934 est d’ailleurs dédicacée par la religieuse à son frère, avec date et signature (p. 43).
« Le spectateur est en position de voyeur sur un univers par définition inaccessible à toute personne hors du groupe et de ses conventions. Les boîtes révèlent la vie quotidienne au couvent et l’environnement intime de la moniale : le lit ou la paillasse, la table de travail, l’ouvrage, la discipline et le modeste décor lié à la spiritualité de sa famille religieuse. Elle est aussi le reflet de sa vie spirituelle. »
Ainsi, ces boîtes répondent aussi à la fascination pour la vie monastique, à la fois ardue et attrayante aux yeux de ceux qui sont plongés dans l’agitation du monde. Elles permettent un coup d’œil derrière la clôture monastique. À côté de ces caractères spécifiques, c’est la comparaison avec les boîtes de poupées qui vient spontanément à l’esprit du visiteur. Inévitablement, des « cellules de nonnes » ont aussi été parfois utilisées comme jouets par des enfants et ont donc été abîmées. Nombre d’entre elles ont sans doute été détruites, avant que des musées et des amateurs éclairés prennent conscience de l’intérêt et de la valeur artistique de ces humbles et touchants témoignages sur les vies consacrées.
Les quelques photographies qui accompagnent cet article, prises dans le sous-sol du musée et montrant des boîtes dont les vitres créent des reflets, ne peuvent rendre justice aux qualités et aux détails de cet artisanat. Heureusement, le catalogue offre des images professionnelles de haute qualité. J’en recommande l’acquisition aux lecteurs intéressés.
Elisabeth dit
Votre article rend très justement hommage à cette jolie petite ville et ses principales attractions (basilique, musée, chapelle de la Visitation très fréquentée par les pèlerins).
La sérénité et le charme qui s’en dégagent et auxquels vous avez été sensible sont effectivement très prégnants. Je me suis complètement retrouvée dans ce que vous avez décrit.
J’ai heureusement l’occasion d’y retourner prochainement : Je suivrai vos conseils en visitant le musée du Hiéron et sa très interessante exposition sur les cellules de nonnes. Merci pour le compte rendu très fidèle de votre visite à Paray.