Écrivain, journaliste, chercheur, éditeur… tous ceux que leur activité conduit à écrire, à publier, à s’exprimer publiquement, se trouvent régulièrement mis au défi de trouver un titre susceptible de retenir l’attention. Certaines personnes ont le talent de trouver à tout propos une formule choc ou un slogan percutant, qui feront merveille en page de couverture, sur une affiche, dans un débat ou lors d’un entretien : je me souviens d’un ami, hélas décédé, qui avait un sens inné de la formule et de la répartie.
Cette semaine, en lisant le fil Twitter de Dimitri Tilloi, un spécialiste d’histoire romaine, je suis tombé en arrêt devant la photographie de la couverture d’un livre qu’il venait d’acheter et dont il partageait la référence : Tenir le loup par les oreilles. J’ai voulu en savoir plus, accroché par ce titre. Le sous-titre était plus explicite : Prendre le pouvoir et le conserver dans la Rome impériale des premiers siècles. Ce livre de l’historien Jérôme Sella est récemment paru chez l’éditeur Champ Vallon. Si la couverture elle-même est attrayante (et combien de fois une couverture réussie nous attire-t-elle vers un livre ou un disque), c’est bien le titre qui a retenu mon attention ici. La quatrième de couverture explique que, « reprenant une expression célèbre de Térence » (je confesse que je l’ignorais), l’empereur Tibère aurait comparé l’exercice du pouvoir au fait de tenir un loup par les oreilles : menacé par des complots ou des ursurpations, celui qui est arrivé au pouvoir doit déployer une large palette de capacités pour le conserver. Je ne savais pas que l’expression existait aussi en français, pour décrire une situation difficile dont on ne sait comment sortir, et qu’un recueil de poèmes portait déjà ce titre.
En tout cas, voilà un titre bien trouvé. Que de fois j’ai peiné à imaginer un titre convaincant pour un livre, un article ou une conférence ! Un titre peut décrire le contenu sans être attrayant. C’est souvent une articulation entre titre et sous-titre qui permet de trouver une issue. Lors de la conférence que j’ai donnée le mois dernier à la Société de lecture de Genève, dans le cadre d’un cycle sur l’avenir, on m’avait demandé de proposer un titre pour présenter mon analyse sur l’avenir des religions. Bien sûr, j’aurais pu simplement choisir « L’avenir des religions », mais cela me semblait sec et plat. J’ai donc proposé à choix : « Un petit parfum d’éternité : quel avenir pour les religions et les spiritualités ? », « L’avenir des religions et des croyances — entre traditions et mutations » ou « Permanences et métamorphoses du sacré : scénarios d’avenir des religions ». Comme je m’y attendais, le premier titre fut retenu. Il avait plus d’élégance, plus d’attrait qu’un titre simplement descriptif.
Il y a longtemps, j’avais rédigé une petite étude dont je reste assez content quand je relis ce travail de jeune chercheur, publié en 1985 (et accessible en PDF pour qui aurait la curiosité de vouloir le lire). Le sous-titre en était très explicite : Les polémiques contre l’Armée du Salut en Suisse en 1883 et leurs étranges similitudes avec les arguments utilisés aujourd’hui contre les “nouvelles sectes”. Mais c’était bien long pour un titre. Je décidai de choisir pour titre principal, en y ajoutant un point d’interrogation, une expression que j’avais relevée dans l’un des textes polémiques du XIXe siècle que j’avais examinés pour préparer cette étude : Une honteuse exploitation des esprits et des porte-monnaie ? Bien que publié à compte d’auteur, avec une couverture artisanale, ce travail eut un bon écho : des journaux en parlèrent, des comptes rendus parurent dans des revues universitaires, et une page entière lui fut même consacrée dans le magazine du Conseil œcuménique des Églises.
Quelque temps après la parution, je rencontrai un éminent universitaire et juriste français, qui avait pris la peine de lire mon étude et me fit cette remarque : « Cela aurait pu faire un bon article pour une revue universitaire — mais pas avec un pareil titre ! » Sans doute était-ce une question de différence de génération et de culture académique, mais la remarque me surprit sans me convaincre. Était-il vraiment nécessaire de choisir un titre grave et austère pour donner à un article une aura de sérieux ?
Heureusement, plus je lisais des travaux de chercheurs anglophones, notamment américains, plus je rencontrais de bons exemples de titres originaux pour des livres ou articles qui étaient le fruit de recherches intenses et rigoureuses. Rien n’obligeait un titre (et le contenu) d’un travail universitaire à se parer d’ennui. Dans certains cas, j’ai choisi des titres très sobres ; dans d’autres, j’ai trouvé des formules adéquates. Et parfois, il m’est arrivé de résoudre à nouveau le problème du titre avec une citation, suivie d’un sous-titre plus descriptif : par exemple, pour un article de 1999, « “Our Terrestrial Journey is Coming to an End” : The Last Voyage of the Solar Temple » ; pour un chapitre d’ouvrage collectif, en 2004, « “La vérité, c’est que le monde doit changer” : la Révélation d’Arès, nouvelle voie spirituelle née en France » ; pour un autre chapitre de livre, en 2012, « “Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre” : mouvements et espérances millénaristes ».
Trouver un titre de livre est une décision particulièrement difficile, à moins d’avoir tout de suite en tête quelque chose de bon. Quand j’avais publié en 1990, aux Éditions du Cerf, des récits de terrain sur les mouvements religieux contemporains, avec deux chapitres d’autobiographie religieuse, j’avais tout de suite pensé à un titre un peu taquin et provocateur : Confessions d’un chasseur de sectes, même si j’avais conscience d’être un « chasseur » plus au sens d’un safari photographique que d’une expédition cynégétique. J’avais moi-même proposé à l’éditeur ce titre choc, aussitôt accepté. À ma grande surprise, l’un des premiers journalistes qui lut le livre me dit, à mon grand embarras : « Quel titre mal choisi ! C’est l’éditeur qui vous l’a imposé, n’est-ce pas ? »
Un autre obstacle dans la recherche de titre est l’originalité. Il y a des idées qui viennent en même temps, sans nécessairement se copier. En 1996, quand un petit éditeur éphémère me demanda mes suggestions pour le titre de la traduction française d’un ouvrage de Massimo Introvigne sur les mouvements millénaristes, je proposai Les Veilleurs de l’Apocalypse. Un bon titre, assurément, tout de suite bien accueilli par l’éditeur. Mais quelque temps après la publication, je découvris dans une vitrine un livre à gros tirage portant le même titre : la traduction d’un thriller du romancier américain Robert Ludlum. Je n’en avais jamais entendu parler : il n’était d’ailleurs pas encore paru quand je proposai le titre (et le titre anglais était tout autre).
En jetant un coup d’œil aux piles de quelques livres lus ces derniers mois et qui n’ont pas encore pu trouver leur place sur les rayons déjà surchargés de ma bibliothèque personnelle, je trouve des titres à la fois concis, suggestifs et brillants, comme celui du livre d’Alice Ekman : Rouge vif (Éd. de l’Observatoire, 2020) : belle idée pour un livre très instructif sur la pérennité de L’idéal communiste chinois (c’est le sous-titre). D’autres réussissent à proposer un titre aussi bref que clair : j’ai découvert cette année seulement la remarquable étude de Guillaume Cuchet (publiée en 2005 chez Armand Colin) sur le succès de la dévotion aux âmes du purgatoire dans l’Europe catholique du XIXe siècle, puis son déclin : Le Crépuscule du Purgatoire — titre sobre, sourt, clair et attrayant à la fois. Et il y a des livres dont le titre (et la couverture) promettent de plaisants moments au lecteur : l’une de mes prochaines lectures sera le livre de Lyn Milner, The Allure of Immortality : An American Cult, a Florida Swamp, and a Renegade Prophet (University Press of Florida, 2015), sur Cyrus Teed (1839–1908) et l’étonnante communauté fondée sur ses enseignements, qui incluait notamment des promesses d’immortalité à certaines conditions (ce qui explique le titre principal) et la croyance que nous vivons à l’intérieur du globe terrestre et non sur sa surface extérieure…
Pendant le ralentissement des activités à cause de la pandémie des derniers mois, je me suis soudain senti inspiré à commencer d’écrire une série de nouvelles — cela s’est imposé en quelques secondes, en voyant une personne inconnue passer rapidement devant mon jardin. J’ai conçu trois nouvelles, très différentes les unes des autres, mais j’ai vite été détourné de l’écriture par d’autres tâches, et je n’ai donc écrit que les premières pages du premier de ces trois textes. Je ne sais pas encore si je parviendrai, ces prochains mois, à trouver le temps de mener à bien l’écriture de la suite : je serais tenté de le faire, car je ne me sens pas souvent capable d’écrire un texte de fiction. Si j’y parviens, je sais déjà quel sera le titre de recueil : ce sera le titre de la première nouvelle. Il me paraît être un bon titre, jamais utilisé. Et justement pour cette raison, vous me pardonnerez de le garder pour moi : car l’expérience m’a appris qu’un bon titre est une denrée rare…
michel ardan dit
Il n’y apas d’heure pour les braves !…