La semaine dernière, j’ai reçu le dixième volume du Dictionnaire historique de la Suisse. Treize sont prévus, le premier était paru en 2002 : l’entreprise se poursuit donc au rythme imperturbable d’un volume annuel. Au total, le DHS comptera 36.000 articles, plus de 10.00 pages et 8.500 illustrations. Et pas seulement en français, mais aussi en allemand et en italien, ce qui donne une idée de l’ampleur de ce projet.
J’y avais souscrit et je ne regrette pas la dépense que représente l’acquisition d’un nouveau volume chaque année. Car ce dictionnaire est une mine d’information. Si certains articles sont brefs (notamment les biographies, couvrant en règle générale un paragraphe), d’autres sont longs de plusieurs pages. Quelle que soit la longueur de l’article, des références bibliographiques sont fournies pour qui désire en savoir plus. Une illustration abondante et attrayante complète le texte, ainsi que des diagrammes quand il y a lieu (par exemple pour des données statistiques).
Ce n’est donc pas simplement un dictionnaire que l’on consulte quand on cherche quelque chose de précis : chaque fois que sort un nouveau volume, je prends plaisir à le parcourir et à me plonger dans des notices que je ne cherchais pas. Ce que j’ai fait en recevant ce dixième volume.
864 pages, un contenu qui va de “Poma” à “Saitzev” (Poma est le nom d’un sculpteur sur bois, décédé en 1995 ; Saitzev, celui d’un professeur d’économie politique d’origine russe, décédé à Zurich en 1951).
En commençant à feuilleter, je suis tombé sur le chapitre “Population”, signé par Anne-Lise Head-König, aux pages 14 à 19. Passionnant aperçu sur l’évolution de la population en Suisse depuis la préhistoire — probablement 10.000 à 20.000 habitants durant la période néolithique sur le Plateau suisse, près de 200.000 habitants à l’époque romaine, puis une forte diminution lors des “incursions dévastatrices des Germains”. Vers l’an 1000, sans doute un demi-million d’habitants. La progression démographique subséquente est ralentie avec la crise du bas Moyen Âge, au XIVe siècle : “Des 200 villes que comptait le territoire actuel de la Suisse vers 1400, une centaine a vu sa population disparaître ou rétrécir comme peu de chagrin.” À cette époque, Bâle et Genève n’ont guère plus de 10.000 habitants. L’article ne cite pas seulement des chiffres : il les explique et donne des précisions.
La population de ce qui est aujourd’hui la Suisse est passée de 1,2 million vers 1700 à 3,9 millions en 1914. Entre 1914 et 2000, elle monte à 7,2 millions. À la fin des années 1880, les flux migratoires s’inversent : la Suisse attire dès ce moment plus d’étrangers qu’elle n’envoie elle-même de migrants. En 1910, 14,7% de la population était étrangère (avec l’Allemagne comme principal fournisseur de migrants), pourcentage qui baisse ensuite, pour remonter dès les années 1950, en raison d’un besoin de main d’œuvre : 10,8% d’étrangers en 1960, 17,2% en 1970, 14,8% en 1980, 18,1% en 1990, 20,5% en l’an 2000. Selon les données que l’on peut trouver sur le site de l’Office fédéral de la statistique, le pourcentage des étrangers en Suisse en 2010 était de 22,4%, dont 31,7% dans la classe d’âge des personnes de 20 à 39 ans ! L’article précise que l’accord sur la libre circulation des personnes conclu entre la Suisse et l’Union européenne en 2002 “a provoqué un énorme afflux d’immigrants et la plus forte croissance depuis les années 1960”.
Quelques pages plus loin, un autre article a attiré mon attention : “Poste” (pages 41 à 46). Je me souviens de très intéressantes visites de l’excellent (et pédagogique) Musée de la Poste, à Paris (à Montparnasse), ainsi que du National Postal Museum à Washington, où j’avais découvert une exposition temporaire sur… la poste et le Titanic : oui, il y avait des postiers à bord, et ils sont morts en essayant jusqu’au dernier moment de sauver le courrier, ce qui démontre un sens du devoir à citer en exemple à tous les postiers du monde !
L’article du DHS, signé par Karl Kronig, ne fait pas état de tels actes de bravoure, mais propose un panorama de l’histoire des services postaux en Suisse. Au IIIe siècle, le cursus publicus accepta “de manière limitée les messages privés” et “intégra pour la première fois le territoire suisse à un système de communication et de transports”. Après une brève tentative de centralisation du service postal sous la République helvétique, en 1798, il fallut attendre 1849 pour la mise sur pied de la poste fédérale, en application de la Constitution de 1848. Son monopole commença à être contesté à la fin des années 1970, nous apprend l’article : DHL prit pied en Suisse en 1982.
Jusque vers 1870, l’envoi de lettres était coûteux et donc réservé à une élite, ai-je appris : la baisse des tarifs étendit l’usage des services postaux : “ramené au pouvoir d’achat, le tarif pour une lettre vers 1900 ne représentait plus que le 20% du coût d’un envoi analogue en 1850”, et les tarifs continuèrent de devenir de plus en plus avantageux. L’article fourmille d’autres détails intéressants, que la plupart des usagers de la poste, moi le premier, ignorent le plus souvent.
Enfin, j’ai fait un grand saut jusqu’aux pages 270 à 275, pour tomber en arrêt devant l’article “Réforme”. Une claire synthèse des événements qui bouleversèrent le paysage religieux de la Suisse et de l’Europe au XVIe siècle, singée Caroline Schnyder. La Suisse “fut pendant plusieurs décennies l’un des centres de ce mouvement”, avec Zwingli à Zurich et Calvin à Genève. L’article se conclut par quelques considérations sur l’historiographie de la Réforme.
L’achat d’un tel dictionnaire est coûteux : mais il vaut au moins la peine de le consulter en bibliothèque. En outre, la plupart des articles sont mis en ligne sur le site du DHS (sans les illustrations). J’ai l’impression que, ces prochains mois, je continuerai, comme je le fais de temps en temps, à retirer de son rayon l’un de ces gros volumes, pour le plaisir de partir à la découverte. En attendant les trois volumes encore à paraître…