Depuis dix-neuf ans, l’arbre se dresse dans le jardin. C’était un cadeau, offert par un collègue de travail. Une belle idée, venue d’une personne qui, comme moi, avait fait des études d’histoire : les historiens savent apprécier la durée et l’enracinement, au-delà de ces turbulences du quotidien, dont le flux constant nous submerge et captive notre attention. Arrivé tout petit, l’arbre a grandi, patiemment. Depuis peu d’années, il produit des fruits, d’abord en faible nombre. La quantité a augmenté cette année, et aussi la qualité, peut-être grâce aux conditions météorologiques, avec les alternances de pluie et de beau temps de l’été : c’est la première fois qu’il n’a pas fallu une seule fois arroser ici les fleurs et les plantes.
En ce mois d’octobre plutôt frais, je m’attendais à devoir ramasser des pommes abîmées ou de qualité médiocre, même si peu avaient été attaquées par des oiseaux, auxquels je concède volontiers leur part du festin. La surprise a été bonne quand celles qui les ont goûtées ont déclaré que les pommes étaient savoureuses et juteuses, sans comparaison avec celles des années précédentes. Quel plaisir de voir sur la table des fruits de son jardin ! Et les visiteuses qui ont eu la bonne fortune de passer chez moi hier après-midi, après ma récolte, sont reparties chacune avec un petit sac de pommes, qui seront mangées crues ou en compote.
Le pépiniériste avait choisi une espèce de pommier adaptée à un environnement qui n’est pas celui d’un verger. Le petit arbre devait affirmer sa présence devant d’imposants concurrents, à commencer par les deux grands sapins qui bordent la propriété voisine. Apparemment, il s’en est bien sorti.
Autrefois, il y a eu d’autres arbres fruitiers dans le jardin. Le dernier en date était un prunier. Il produisait un nombre appréciable de fruits. Une année, son abondance fut sans pareille : après en avoir récolté en quantité, il semblait en rester encore autant qu’avant. Amis et voisins furent invités à venir se servir. L’année suivante, je m’attendais à voir cette bonne fortune continuer : mais il n’y eut guère plus que ce qui était nécessaire pour une ou deux tartes. L’année d’après, il n’y avait plus aucun fruit : l’arbre commença à dépérir, il fallut se résoudre à le couper. Je compris que la récolte extraordinaire avait été le chant du cygne de cet arbre que j’avais vu depuis mon enfance : comme si toutes les forces et toute la sève qui lui restaient avaient été destinées à un récolte miraculeuse et ultime.
J’aime les forêts et j’aime les arbres : j’aurais du mal à vivre dans un environnement dont ils seraient absents. Cela me fait toujours un pincement au cœur d’en couper un. Mais c’est parfois nécessaire : c’est le cycle de la nature, et l’occasion de planter un nouvel arbre bien choisi.
Après la récolte de pommes de cette année, j’ai l’impression que le jeune pommier est promis à un bel avenir et, sauf accident, m’accompagnera pour le reste de ma vie, au fil des saisons, produisant ces belles pommes rouges, dont les couleurs réjouissent d’abord les yeux dans la symphonie automnale.
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