Sur les bords du lac Léman, du 22 au 25 avril 2010, va se dérouler la 6e “Conférence globale” du Réseau mondial des journalistes d’investigation. Sur le site du Réseau suisse des journalistes d’investigation, le comité organisateur vante les charmes de Genève, la présence des organisations internationales aussi, et ne manque pas de souligner quelques aspects de nature à allécher des journalistes d’investigation : “À la demande générale, un accent particulier sera mis sur les questions bancaires et financières. Comment accéder à la mystérieuse place financière helvétique ? Comment accéder à des informations privilégiées ici à Genève ? Nous soulèverons avec vous tous les secrets bancaires.” Voilà qui promet !
Avec curiosité, je suis allé regarder le programme de plus près. Je dois dire que les participants ne vont pas s’ennuyer. Je cite quelques panels déjà annoncés : “La caméra cachée et l’infiltration comme méthode d’investigation”, “Enquêter sur les réseaux pédophiles”, “Comment la contrebande de tabac alimente le terrorisme”, “Pirates ! Comment y accéder. Comment les interviewer. Comment enquêter sur leurs activités”, “Le journaliste d’investigation et les gangs”, “Quand les lecteurs font l’enquête”… Bref, je me disais déjà qu’il fallait songer à en parler sur ce site, quand j’ai découvert l’annonce de panel qui m’a convaincu de le faire : “Enquêter au Vatican”!
Eh oui ! à côté de la mafia, des trafiquants de drogue, des gangs, des banquiers et des pirates, le Vatican semble être un terrain de choix. Jugez-en par la présentation du panel, dont les intervenants ne sont pas encore annoncés sur le site : “Le micro-Etat catholique est à rythme régulier au coeur d’affaires et de scandales qui se jouent derrière des portes hermétiquement fermées : loge P2, mort par balle du chef de la Garde, espionnage. Quelques uns de nos collègues ont enquêté de longues années sur le Vatican et livrent les clés qui permettent d’ouvrir ses lourdes portes.”
Vous l’aurez deviné : je me demande si je ne vais pas faire un petit tour à ce congrès, je confesse que ce programme a éveillé ma curiosité !
Sans commenter les fantasmes qui circulent parfois autour du thème (le Da Vinci Code et Anges et Démons n’ont pas démenti la pérennité de ce thème), il faut dire que le Vatican n’est sans doute pas l’endroit le plus facile pour un certain type de journalisme d’investigation. Le livre de David Alvarez sur l’espionnage au Vatican, que Religioscope avait présenté en 2003 et dont j’avais également réalisé un entretien avec l’auteur la même année (en anglais), avait bien mis en lumière les particularités d’un tel environnement. Plus révélateur encore avait été, à mon avis, le livre qu’Alvarez avait publié en 1997 en collaboration avec le regretté chercheur jésuite Robert Graham sur l’espionnage nazi au Vatican, Nothing Sacred — un livre que je m’étais réjoui de voir traduit en français, mais qu’il vaut mieux lire en anglais, car la traduction française est médiocre, comme le révèle déjà une perle dans l’introduction, sur les gardes suisses du Pape, “vêtus de hallebardes colorées” (sic !). Donc préférez l’anglais si vous le pouvez. — Toujours est-il que le livre de Graham montrait comment les espions du IIIe Reich, se trouvèrent somme toute assez peu eficaces pour infiltrer un monde si particulier. Non pas parce que ce monde était formé à des techniques de contre-espionnage, mais parce qu’il fonctionnait selon des principes qui le rendaient peu perméables : les représentants des Alliés le constataient aussi.
Les journalistes d’investigation auront-ils plus de chance ? Je l’ignore, mais il est possible que j’aille les écouter pour en savoir plus. Pour ma part, l’une de mes lectures favorites sur l’actualité vaticane et les développements généraux au sein de l’Église catholique est le mensuel américain Inside the Vatican, auquel je suis abonné depuis son premier numéro, il y a dix-huit ans. (Il faut s’abonner à l’édition sur papier, la plus grande partie du contenu n’est pas accessible en ligne.)
On pourrait presque aller jusqu’à dire que Inside the Vatican pratique, à sa manière, un certain type de journalisme d’investigation, mais plutôt original : rien à voir avec le style du magazine français Golias et ses positions critiques. Inside the Vatican se trouve à l’opposé : est produit par de pieux catholiques, de sensibilité traditionnelle, qui ne cachent leur sympathie pour la “forme extraordinaire du rite romain” (le rite tridentin), par exemple. Les articles se montrent donc très respectueux de l’institution : il suffit de lire les articles qui, dans la polémique autour du pape Pie XII, prennent nettement sa défense et fournissent aux lecteurs des arguments pour démonter les accusations lancées à son encontre.
Mais justement : le fait même d’être manifestement fidèle à l’institution romaine fait que les rédacteurs de Inside the Vatican reçoivent certaines confidences, que des interlocuteurs haut placés dans la hiérarchie catholique leur font confiance, et donc qu’ils sont souvent en mesure de discerner des tendances ou de communiquer des informations instructives pour qui cherche à comprendre et à analyser le Vatican et l’ ”ecclésiosphère” catholique, pour reprendre une expression d’Émile Poulat.
Pour revenir à nos journalistes d’investigation, le Vatican ne sera bien entendu qu’un sujet parmi d’autres. D’ailleurs, le comité organisateur indique que plusieurs participants “ont souhaité également profiter d’être en Suisse, siège des plus grandes organisations sportives mondiales et du CIO, pour approfondir les contacts et les moyens de recherche dans l’investigation sportive. Ce sera certainement un axe prioritaire pour notre conférence”, précisent-ils.
J’en profite aussi pour signaler que le site du réseau suisse contient une utile liste de liens vers des sites de référence en matière de journalisme d’investigation à travers le monde. De quoi vous occuper pour quelques minutes d’exploration après avoir fini de lire le présent billet !