Beaucoup ont exprimé de la compréhension pour un homme de 85 ans qui a renoncé à poursuivre l’exercice d’une charge écrasante ; nombre de questions s’expriment en revanche quant aux conséquences d’une telle initiative — à la mesure de la place accordée au pape dans l’imaginaire catholique romain. Seul le temps permettra de mesurer vraiment l’impact de la renonciation de Benoît XVI. À l’heure où s’est ouvert le conclave pour désigner un nouveau pontife à Rome, petit tour d’horizon de quelques commentaires.
Dans une intervention sur le Forum catholique, sans contester le caractère compréhensible et admissible de la démarche du Pape, l’historien Luc Perrin (Université de Strasbourg) souligne le caractère “révolutionnaire” du geste de Benoît XVI, encourageant (involontairement) l’idée “dramatiquement fausse que l’Église est une société humaine comme les autres”. La conséquence en serait un affaiblissement de la papauté.
Des commentaires de René Solis dans Libération (11 février 2013) vont dans le même sens, évoquant la “modernité” de la décision :
“On s’était habitué avec Jean Paul II à ce que la fonction du pape ne soit pas seulement de gouvernance mais aussi symbolique, sacramentelle. Dans les dernières années, face à la maladie, Jean Paul II pensait que son rôle n’était pas seulement politique mais sacral. D’où l’acceptation de la maladie, avec le côté héroïque de la dernière messe de Noël, et derrière l’héroïsme, l’identification à la souffrance du Christ.
“Benoit XVI fait le chemin inverse et choisit, lui, de désacraliser sa fonction. Et l’on est surpris parce que c’est pour le coup une décision réformatrice.”
Dans les commentaires d’actualité qu’elle publie régulièrement dans un quotidien suisse, Marie-Hélène Miauton note qu’on ne peut confondre la mission d’un pape uniquement avec celle d’un chef d’État et que les fidèles tendent à penser que la charge ne saurait être défaite que par Dieu au moment de la mort :
“Les fidèles peuvent donc accepter sa démission en tant que chef d’État mais ils ne peuvent la comprendre en tant que père parce qu’elle s’apparente à un abandon. C’est ainsi que beaucoup de chrétiens se sont retrouvés orphelins au soir du lundi 11 février. On peut craindre que le traumatisme ainsi créé en induise d’autres encore dans une chrétienté déjà exposée à tant de fléaux.” (Le Temps, 15 février 2013)
Correspondant de la Neue Zürcher Zeitung, Nikos Tzermias évoque pour sa part des craintes de “désenchantement du ministère pétrinien” (15 février 2013): certains des prédécesseurs de Benoît XVI avaient songé à l’éventualité d’une renonciation, mais auraient voulu éviter de créer un “dangereux précédent”. Ce n’est pas sans raison que la décision a suscité des sentiments mitigés dans des milieux catholiques conservateurs, rappelle le journaliste, en citant les propos souvent mentionnés du cardinal de Cracovie à propos de Jean-Paul II : “on ne descend pas de la croix” (13 février 2013).
Benoît XVI aurait “conduit une réforme d’une ampleur insoupçonnée, parce qu’elle modifie le mythe de la papauté même”, trônant au dessus d’un monde sans être ébranlée par les turbulences de celui-ci, estime le jésuite Franz-Xaver Hiestand (Zurich): cela marque “une césure jusqu’à présent impensable pour de nombreux catholiques” (Neue Zürcher Zeitung, 19 février 2013).
D’autres n’interprètent pas la démarche comme une désacralisation : ainsi, le philosophe suisse Jacques de Coulon, qui estime que “l’institution papale apparaît comme un gage de stabilité, un point de repère” dans un monde fluctuant, souligne que la papauté ne doit pas être au goût du jour ou “s’aplatir devant l’actualité”, mais que cela ne l’oblige pas à “se figer dans la rigidité” (La Liberté, 21 février 2013).
Ce florilège de réactions illustre le sentiment répandu que quelque chose d’important s’est produit le 11 février 2013 et pourrait marquer un tournant dans le catholicisme contemporain. Si les convictions des uns et des autres teintent les commentaires, et si la décision représente pour les uns un motif d’espoir et pour les autres un sujet de préoccupation, beaucoup de commentaires laissent entendre que la portée de la décision de Benoît XVI va progressivement déployer des effets insoupçonnés pour un regard superficiel.
Tout cela révèle surtout à quelle extraordinaire construction de la papauté est parvenu le catholicisme, culminant avec la proclamation de l’infaillibilité pontificale au XIXe siècle et survivant aux transformations qui ont marqué l’Église catholique romaine dans la seconde moitié du XXe siècle. La papauté a su s’adapter à de nouveaux modes de relation avec les fidèles, sans remettre en question le cœur de son statut. Même à une époque où l’autorité — religieuse ou autre — ne jouit plus de la même déférence, un pape “vicaire du Christ” occupe ainsi, dans l’imaginaire catholique, une place qui est bien sûr sans commune mesure avec celle des autres évêques, ou des patriarches dans l’Église orthodoxe (sans même évoquer les responsables de communautés protestantes). Cela transparaît même dans le traitement de l’actualité religieuse par les médias séculiers.
Tant les réactions face à la renonciation de Benoît XVI que les conséquences qu’elle entraînera sont à l’échelle du “mythe pontifical”. Mais n’oublions pas la capacité de la papauté à s’adapter à de nouvelles circonstances : les conséquences des événements de 2013 ne seront pas nécessairement celles que nous pressentons aujourd’hui.
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