Il existe une production considérable de textes en plusieurs langues autour de sujets distincts, mais liés, que sont le véganisme et l’antispécisme. Libération animale et « droits des animaux » sont devenus des sujets largement débattus, également dans les grands médias. Des mouvements activistes ont réussi à les imposer dans la discussion publique, notamment à travers des vidéos montrant des pratiques scandaleuses dans des abattoirs. Cela fait longtemps que des associations luttent notamment contre la vivisection, de même que le végétarisme a de longue date des adeptes convaincus : pourtant, ce qui est en train de se passer exerce un impact plus large et représente potentiellement une remise en cause d’une nature plus profonde, au-delà du statut des animaux.
À plusieurs reprises, ces dernières années, des médias m’ont sollicité pour apporter un éclairage sur le véganisme, notamment après le résumé de l’article d’un théologien allemand sur le véganisme comme « religion de substitution » que j’avais publié sur ce site. Dernière demande en date, celle de Réformés.ch, avec un intérêt particulier pour les dimensions religieuses.
Il y a souvent, dans des exercices médiatiques, la frustration de ne pouvoir dire tout ce qui semble important, ou de l’avoir pas exprimé de façon pleinement adéquate. Il m’a ainsi paru opportun de faire le point et de résumer quelques réflexions que m’inspirent ces sujets, non pour une vue d’ensemble, mais en choisissant des angles qui m’intéressent ou sur lesquels je suis particulièrement interrogé : cela explique que la seconde section de cet article se penche sur les aspects religieux. Il serait très intéressant d’analyser aussi les profils et motivations de personnes embrassant le véganisme ou adhérant aux vues antispécistes, mais je n’ai pas eu l’occasion de me livrer à de telles analyses pour le moment.
J’ai conscience que cet article oscille entre véganisme et antispécisme : cela reflète les enchevêtrements entre ces deux orientations, sans parler d’auteurs qui tendent à les fusionner, mais il convient de garder à l’esprit la variété des attitudes que peuvent recouvrir ces étiquettes.
« Le fait que les véganes soient réunis sous la bannière de la libération animale n’empêche pas cependant les dissensions internes à propos des stratégies à employer. Certains véganes (…) récusent l’étiquette de ‘véganes’ et préfèrent ne parler que d’antispécisme. D’autres, parmi les ‘abolitionnistes’, ne sont prêts à faire aucun compromis avec l’industrie ou les pouvoirs publics lorsqu’ils réclament la fin de l’exploitation des animaux ; ils en viennent en conséquence à critiquer les approches réformistes ou les campagnes ciblées (…). Ces dernières risquent, selon eux, de donner l’impression que le problème se situe dans la manière dont nous exploitons les animaux plutôt que dans l’exploitation elle-même (…). » [1]
(J’utilise dans ce texte la forme épicène du mot « végane », au lieu de « végan », non par souci d’écriture inclusive, mais plutôt d’euphonie ; l’arrivée du mot sous sa forme francisée — avec accent aigu — dans les dictionnaires est assez récente et l’usage reste flottant.)
Antispécistes : l’avant-garde d’un débat de société
Le mot de « spécisme » (speciesism) aurait été forgé en 1970 par Richard Ryder pour qualifier la discrimination contre des espèces animales au nom d’une supposée supériorité de l’espèce humaine [2]. Dans les années 1990, j’avais découvert l’existence des Cahiers antispécistes lyonnais : je ne me souviens plus si mon attention avait été attirée par une affichette sur un mur lors d’un passage à Lyon ou par une mention dans un périodique. Je m’étais abonné durant quelque temps à ces Cahiers (qui avaient renoncé dès 1994 à l’adjectif « lyonnais »). Ils me firent découvrir quelques aspects d’un courant dont j’ignorais tout, dont la démarche pour l’égalité animale était clairement ancrée dans une culture politique libertaire[3], ou plus largement « progressiste »[4]. Cette littérature me permit notamment de rencontrer pour la première fois les noms (et les textes solidement construits) de David Olivier (né en 1956)[5] et d’Yves Bonnardel (né en 1967). Les travaux du philosophe australien Peter Singer (né en 1946) — dont le rôle dans la diffusion du concept de « spécisme » a été crucial — représentaient une référence intellectuelle importante : la traduction française de son influent livre sur La Libération animale (1975) avait été publiée en 1993 chez Grasset.
Chaque quatrième page de couverture des Cahiers antispécistes précisait ce qu’est le spécisme :
« Le spécisme est à l’espèce ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la race et au sexe : la volonté de ne pas prendre en compte (ou de moins prendre en compte) les intérêts de certains au bénéfice d’autres, en prétextant des différences réelles ou imaginaires, mais toujours dépourvues de lien logique avec ce qu’elles sont censées justifier.
« En pratique, le spécisme est l’idéologie qui justifie et imposer l’exploitation et l’utilisation des animaux par les humains de manières qui ne seraient pas acceptables si les victimes en étaient des humains. »
Outre des articles de fond et des nouvelles sur des initiatives antispécistes et de libération animale, la lecture des Cahiers permettait de découvrir tout un petit monde de groupes et périodiques « alternatifs » et activistes, en France et ailleurs : cela allait de « Veg’ et chat » (« propage la possibilité de nourrir les chats sans viande grâce au supplément Vegecat qu’elle diffuse ») ou d’un « groupe anarchiste antispéciste » à Global Action in the Interest of Animals (GAIA), au collectif lillois pour la libération animale Les Primates et à la revue trimestrielle anglophone Arkangel « proche de l’Animal Liberation Front, mais ouverte à toutes les tendances du mouvement »[6]. À cette époque, Internet émergeait, et une bonne partie de l’information ne se trouvait pas encore en ligne.
L’antispécisme « est en réalité plus vaste que la question animale qu’il intègre dans un ensemble de revendications à l’encontre de tout ce qui s’apparenterait à un système de domination. »[7] Il rencontre aujourd’hui un écho auquel je reconnais ne m’être pas attendu dans les années 1990. Dans l’espace francophone, le patient travail de réflexion des Cahiers antispécistes a contribué à l’équipement philosophique et intellectuel de ce milieu.
En revanche, la démarche antispéciste ne fait pas l’unanimité dans les milieux libertaires et « progressistes »[8]. Sans parler de milieux soutenant la libération animale, mais critiques envers l’antispécisme[9]. En outre, certains groupes véganes, inquiets de l’image donnée par les actions d’éclat de groupes animalistes et en divergence avec certaines des options antispécistes, s’en distancent : par exemple, la Fédération végane a publié en septembre 2018 un communiqué appelant à ne pas confondre véganisme et antispécisme, et réfutant toute association entre attaques contre des boucheries et véganisme. « Le véganisme est une technique d’expression de la compassion humaine, laquelle se développe par la transmission d’informations fiables, et non par des actions illégales. »
Mon propos n’est pas d’entrer ici dans les querelles entre différents courants, dont je suis d’ailleurs loin de connaître toutes les nuances[10]. Mais il est important de noter que véganisme et antispécisme ne se superposent pas, d’une part, et qu’il existe au sein même de ces courants des différences d’approches et de philosophies.
Le véganisme : pas seulement un choix alimentaire
Si antispécisme et véganisme ne se confondent pas, les proximités et recoupements sont nombreux. Le véganisme désigne un refus d’utiliser non seulement tout aliment d’origine animale (y compris les œufs, les produits laitiers et le miel, donc l’adoption d’un régime végétalien), mais aussi tout produit issu de l’exploitation des animaux (ce qui va du cuir à la laine ou à des produits testés sur des animaux). Si la sensibilité à la question de la souffrance animale est toujours présente, il peut y avoir des motivations de départ relevant de la santé, de préoccupations pour l’environnement ou de questions éthiques[11]. L’indignation inspirée par les souffrances endurées par les animaux peut inspirer — dans une mesure plus ou moins forte —un soutien à la « libération animale » ou une approche antispéciste. Le véganisme au sens propre ne se limite pas à des choix alimentaires. « Le véganisme, qui se concrétise par une baisse de la demande de produits impliquant des animaux, est bien plus qu’un style de vie ; c’est un engagement en faveur de l’abolition de toute forme d’exploitation des animaux. »[12]
Auteurs d’un petit livre à la fois informatif et engagé sur le véganisme, Valéry Giroux et Renan Larue suggèrent que le mode de vie végane « recouvre une dimension essentiellement politique ». Ils proposent « une conception du véganisme comme mouvement de justice sociale visant à terme la libération des animaux du joug humain »[13].
Par rapport à un public d’origine parfois lié à des subcultures relativement marginales, le véganisme est devenu un phénomène de société, dont l’audience s’accroît, notamment dans la jeunesse — et probablement de façon plus prononcée parmi les jeunes femmes, même si Giroux et Larue relativisent les différences de genre dans l’adhésion au véganisme et citent des statistiques suggérant que ces différences seraient en train de perdre leur pertinence[14]. Dans le cas de la Suisse, la plus récente enquête démographique de Swissveg (« la plus grande instance représentant les intérêts des personnes végétariennes et véganes qui vivent en Suisse ») aboutit à l’intéressant constat qu’il y aurait 70 % de femmes et 30 % d’hommes parmi les végétariens, mais 40 % de femmes et 60 % d’hommes parmi les véganes[15]. La surreprésentation d’adeptes masculins parmi les véganes semble se retrouver dans certains pays, mais pas dans tous — difficile cependant d’en tirer des conclusions d’ensemble.
Dans plusieurs pays occidentaux, le pourcentage de véganes dans la population tournerait aujourd’hui autour de 1 % (et doublerait au moins en ajoutant les « simples » végétariens), avec une présence plus forte parmi les jeunes. Mais les données statistiques doivent être prises avec prudence : par exemple, dans le cas de la Suisse, selon les sources, le pourcentage estimé de véganes varie entre 0,38 % et 3 % [16]. Selon la façon dont les questions sont posées, une partie des répondants peuvent incliner à surestimer leur véganisme. Ces pourcentages représentent donc plutôt des ordres de grandeur.
Certains lieux rassemblent un pourcentage plus important de véganes. Berlin passe pour capitale du véganisme en Europe. Le cas d’Israël est bien connu aussi : Tel Aviv pourrait être le centre végane le plus important du monde, et les militants de la cause animale sont très présents dans ce pays. Il ne faut pas négliger l’arrière-plan du judaïsme, habituant « au respect d’interdits alimentaires pour des raisons éthiques ou morales »[17]. Les activistes israéliens de la libération animale étaient classiquement issus de milieux de gauche ou du « camp de la paix », mais le véganisme trouve aujourd’hui un écho dans d’autres secteurs du champ politique, comme l’a observé une recherche d’Erica Weiss, ne liant plus droits humains et droits des animaux ; les forces armées israéliennes consentent même d’importants efforts pour créer un cadre accueillant aux recrues véganes (nourriture végane, vêtements et chaussures véganes, exemption de vaccinations pour les recrues véganes qui le souhaitent en raison des expériences sur les animaux)[18].
Sans prétendre circonscrire les raisons qui contribuent à l’essor du véganisme, la préoccupation écologique n’y est pas étrangère : les avocats du véganisme ne se font d’ailleurs pas faute de souligner que le mode de vie « carniste » aggrave la situation de l’environnement par les ressources qu’il requiert[19]. Les dérives d’une agriculture et d’un élevage industriels — qui sont objectivement effarantes, aussi aux yeux de non-véganes — ont certainement renforcé la réceptivité des arguments véganes. La revendication de « justice », de « droits » et d’« égalité » en cercles concentriques toujours plus large a créé un terrain psychologique favorable dans une partie de la population. L’aspiration à un mode de vie plus proche de la nature et en harmonie avec celle-ci crée un contexte porteur. La vigilance des consommateurs face aux produits de plus en plus artificiels proposés sur le marché a aiguisé la méfiance. La liste n’est pas exhaustive : un ensemble de facteurs convergent pour donner un espace au véganisme, même si celui-ci reste un phénomène de minorité[20].
Dans les années qui viennent, il faudra s’intéresser aux balancements du public sensible au véganisme, avec les cas de passage à un simple végétarisme ou à une alimentation non végétarienne. En 2014, une recherche de Faunalytics aux États-Unis évaluait la population de végétariens ou véganes à 2 % : mais à côté de ceux-ci, 10 % de la population avait pratiqué le végétarisme ou le véganisme avant de l’abandonner (un tiers de ces anciens végétariens / véganes envisageaient cependant de revenir à une alimentation non carnée)[21]. À côté des convaincus attachés au véganisme depuis de longues années, il existe un public plus flottant : beaucoup de véganes le sont devenus assez récemment.
Les prises de position de figures publiques ont contribué à la popularisation tant du véganisme que de thèses antispécistes, en accompagnant et en légitimant le mouvement. Dans l’espace francophone, le livre du journaliste et écrivain Aymeric Caron, Antispéciste (2016), a eu un large écho [22]. Plus récemment,un autre journaliste, Hugo Clément, a publié un livre pour expliquer comment il était devenu végétarien et pour dénoncer l’élevage et la pêche industriels — « seulement végétarien » pour l’instant, précise-t-il, ni végétalien ni végane, mais expliquant qu’il aimerait devenir végétalien [23].
« Si la majorité des habitants de cette planète devenaient végétariens, nous aurions réglé une bonne partie du problème climatique et mis fin à la souffrance de milliards d’animaux. Le pouvoir est dans notre assiette. » [24]
L’adoption d’un régime végane par des « célébrités » renforce l’acceptabilité et à la diffusion du véganisme[25]. Mais d’autres canaux jouent aussi un rôle : Ophélie Véron a observé le rôle important des blogues culinaires véganes dans la propagation du véganisme en France, depuis leur première apparition en 2006–2007, aidant aussi à souder la communauté végane francophone (d’autant plus que la majorité de leurs lecteurs ne lisent pas des blogues dans d’autres langues) [26]. « Loin de s’adresser seulement à des activistes déjà dévoués à leur cause, les blogueurs ont commencé à viser une audience plus large », en partageant des informations pratiques et en mettant à jour l’image du véganisme dans la société française, atteignant également une population peu familière avec les thèmes de la cause animale [27].
Le véganisme éthique comme « religion fonctionnelle » ?
« La mouvance animaliste se laisse appréhender par les attributs du religieux. Non pas au sens d’une religion instituée, mais dans le sens d’une expérience affective du sacré », qui n’est pas nécessairement liée à une divinité ou au surnaturel, mais au « sentiment d’une transcendance », estime Marianne Celka dans un essai critique [28].
L’intensité des convictions véganes / antispécistes / animalistes, les impératifs moraux qu’elles posent, des adhésions non sans similitude avec les expériences de conversion religieuse et l’aspiration à une transformation profonde des comportements personnels ainsi que du monde lui-même ont conduit se demander si ces démarches pouvaient être assimilées à des religions ? La question est posée pas tant sous l’angle de la dimension spirituelle, mais sur un plan analogique quant au rôle joué par ces convictions. Dans un article publié en l’an 2000, à partir de recherches sur les activistes pour les droits animaux en Suisse et aux États-Unis, trois chercheurs identifiaient des composantes « quasi religieuses » et utilisaient la catégorie de « religion fonctionnelle » élaborée par la sociologue Milton Yinger (1916–2011)[29].
Cela ne relève pas simplement d’une réflexion sociologique, mais peut avoir des conséquences juridiques. À partir de l’analyse de questionnaires auxquels ont répondu en 2013 des véganes éthiques et végétariens éthiques aux États-Unis, Lisa Johnson aboutit à la conclusion que les convictions des véganes éthiques remplissent les critères juridiques de définition de la « religion » aux États-Unis (même si, pour la majorité, elles ne découlent pas des principes d’une religion traditionnellement reconnue comme telle), et que le véganisme éthique devrait donc jouir de la protection accordée aux religions par les lois américaines [30].
Le débat n’est pas uniquement nord-américain : au Royaume-Uni, plusieurs médias ont rapporté l’affaire d’un employé licencié, qui prétend que son « véganisme éthique » est la cause de la perte de son emploi (ce que l’ancien employeur conteste) et qu’il devrait être protégé contre la discrimination au même titre qu’un fidèle d’une religion, en raison du rôle central de ses convictions dans l’orientation de sa vie. Un tribunal pourrait être appelé à décider si le véganisme doit être protégé en tant que « croyance philosophique » [31].
J’ai souvent dit mes réticences à étendre trop largement la catégorie de « religion », afin de ne pas la diluer — et sans ignorer les débats sans fin sur la définition de la religion parmi les spécialistes. J’admets volontiers que des analogies existent entre des phénomènes religieux et des phénomènes séculiers : elles peuvent donner lieu à de pertinentes comparaisons. Le concept de « religion fonctionnelle » et les catégories de quasi-religions ou para-religions sont utiles comme outils d’analyse. De là à définir le véganisme éthique comme religion, il y a un pas que je suis réticent à franchir. Ce n’est donc pas cette question que je vais traiter dans la suite de cet article, mais plutôt m’intéresser à quelques questions que véganisme et antispécisme soulèvent pour les groupes religieux proprement dits.
Véganisme séculier et influence sur des groupes religieux
Les antispécistes dont j’avais découvert les publications dans les années 1990 n’inclinaient guère vers la religion. Cela ne signifie pas qu’ils ne s’y intéressaient pas : en avril 1995, le N° 12 des Cahiers antispécistes contenait un débat sur « La libération animale et la question religieuse ». Ce débat faisait suite à la lecture du livre d’Eugen Drewerman, De l’immortalité des animaux (Paris, Cerf, 1992).
Éva Salabert écrivait avoir d’abord cru reconnaître dans ce livre « une remise en cause radicale de la position anthropocentrique de l’Église catholique », avant de prendre conscience que le livre n’appelait pas « à une réelle prise en compte de l’animal en tant qu’être individuel ». Tout en affirmant rejeter l’Église catholique, elle laissait entrevoir une orientation personnelle sympathique à une approche gnostique et mettait en garde face à la position « agressive à l’encontre de toute dimension spirituelle », appelant à distinguer entre cette institution et la dimension transcendante [32].
« Quand bien même (…) la libération animale repose sur une éthique rationaliste et objective, penser, croire en une âme individuelle de l’animal — dont la reconnaissance ou non ne doit cependant pas motiver notre démarche — (…) ne va aucunement à l’encontre de la philosophie de la libération animale — qui d’ailleurs chez Thomas Regan est sous-tendue par une spiritualité diffuse et implicite. » [33]
Philippe Moulhérac y répondait par un texte dans lequel il essayait d’attirer l’attention « sur une proposition qui me paraît essentielle : que l’antispécisme et ce qui en découle impliquent probablement une remise en cause de la façon dont nous percevons les choses, y compris nous-mêmes »[34]. Au cœur de l’argumentation de Moulhérac, ce constat :
« (…) antispécisme et recherche métaphysique s’excluent ; en effet cette dernière, en absolutisant l’être, entraîne une dévalorisation des intérêts ‘temporaires’, considérés comme des attributs du ‘principal’, et donc de subordination de la recherche de leur satisfaction à celle du maintien de la détermination centrale. » [35]
Des années plus tard, les Cahiers antispécistes ont cependant ouvert à nouveau le dossier religieux, en accueillant notamment des contributions de Jean Nakos. En outre, les Cahiers publièrent en 2007 des extraits d’un livre du théologien anglican Andrew Linzey, en soulignant la participation de celui-ci (alors étudiant en théologie et végétarien engagé) au petit groupe qui se réunissait alors à Oxford autour de la question des droits des animauxet comptait aussi parmi ses membres Peter Singer et Richard Ryder ; directeur de l’Oxford Centre for Animal Ethics, Linzey est donc une figure historique du mouvement ainsi que l’auteur de nombre de livres et d’articles sur les droits des animaux d’un point de vue chrétien [36]. En 2010, en présentant la traduction française d’un livre de Linzey, la rédaction des Cahiers expliquait :
« Par rapport à d’autres grandes figures de l’éthique animale, la singularité de Linzey tient au fait que son approche est théologique. Pour lui, les droits des animaux sont affaire de justice divine. Les humains ne peuvent pas disposer à leur guise des animaux. La valeur des bêtes ne tient pas à la commodité que les hommes trouvent à s’en servir, mais au fait qu’elles ont de la valeur aux yeux du Créateur. Dieu aime toutes les créatures.
« Selon Linzey, le courant dominant de la chrétienté (contesté depuis l’origine par des courants dissidents) s’est mépris sur le sens de la domination sur les animaux octroyée par Dieu aux hommes. Si l’espèce humaine est spéciale, ce n’est pas parce qu’elle serait la seule dont Dieu se soucie, ou celle qu’il aurait désignée pour tyranniser toutes les autres, mais parce qu’elle est l’espèce servante : celle qu’il a invitée à prendre soin avec lui des autres créatures. La priorité morale des faibles et l’amour par le don de soi qui ressortent de l’enseignement et de la vie du Christ doivent s’exercer aussi au bénéfice des bêtes. » [37]
Il serait donc inexact de dire que le courant animaliste n’a eu aucune interaction avec des réflexions religieuses. Cependant, dans la plupart des cas, le phénomène végane s’est affirmé comme une démarche qui part de visions du monde séculières. Certes, il existe nombre de groupes religieux végétariens (notamment issus de traditions orientales). De même, on trouve souvent des croyants (appartenant ou non à des dénominations chrétiennes) ou des idées religieuses à l’origine de groupes végétariens ou végétaliens apparus dès le XIXe siècle. Mais le véganisme tel qu’il s’est développé au cours des récentes décennies me paraît être l’enfant d’un autre contexte. Les groupes religieux qui ont adopté le véganisme semblent l’avoir largement fait sous l’influence du véganisme séculier, avec son écho toujours plus large. Ainsi, en 2007, les centres dirigés par le célèbre maître bouddhiste vietnamien Thich Nhat Hanh, qui avaient toujours été végétariens, ont annoncé qu’ils passaient à un régime végane, afin de mieux contribuer à sauver la planète. Presque au même moment, en 2008, le mouvement dirigé par Maître Suprême Ching Hai (une femme d’origine vietnamienne) a abandonné le régime lacto-végétarien pour adopter le véganisme ; la chaîne de restaurant Loving Hut, qui est liée au mouvement de Ching Hai, est ainsi aujourd’hui présentée comme la plus grande chaîne de restaurants véganes dans le monde. Les motivations d’adoption du véganisme semblent avoir été la prise de conscience de problèmes posés par la production laitière ainsi que de la contribution de l’élevage au réchauffement climatique, exactement comme pour les adeptes séculiers.
Il y a dans tous les courants religieux des fidèles qui embrassent le véganisme : non seulement dans des religions orientales comptant déjà des végétariens en nombre plus ou moins élevé, mais aussi dans le christianisme. Un petit groupe catholique, la Fraternité pour le respect animal (FRA), a publié la traduction d’un article de David Clough se demandant si les chrétiens devraient être végétaliens[38]. Nombre de textes proposés à ce sujet sur le site de la FRA sont cependant en anglais. Dans une perspective croyante, il ne s’agit pas simplement de choix alimentaires ou de société, mais aussi d’implications théologiques, soulevant par exemple la question de l’âme des animaux et surtout de sa survie.
Le véganisme trouve également un écho dans l’islam, ce qui peut sembler plus inattendu, mais montre bien que son impact dépasse les frontières religieuses, culturelles et idéologiques. Sur Facebook, on peut trouver plusieurs groupes de musulmans véganes : The Vegan Muslim Initiative, la Vegan Muslim Community, les Muslim Vegans — ou encore, en français, les Musulmans végétariens et véganes, dont la page Facebook compte des milliers d’abonnés. Confrontés à des pratiques comme le sacrifice de moutons lors de l’Aïd-El-Kebir, ces musulmans mettent en avant des commentaires réputés qui ne le considèrent pas comme obligatoire et expliquent :
« Nous sommes de plus en plus de Musulmans(es) à choisir de faire un don d’argent en faveur des plus démunis plutôt que le sacrifice d’un animal.
« Une alternative qui ne trahit pas l’objectif premier du sacrifice qui était de secourir les pauvres Mecquois, car ni la chair ni le sang n’atteindront Allah, mais ce qui l’atteint c’est notre piété. »
Le regard sur les animaux : une question pour le christianisme
La diffusion du véganisme pose aux religions des questions qu’elles ne peuvent pas ignorer. D’une part, parce qu’elle soulève la question du traitement des animaux au regard des principes religieux et de l’attitude adoptée par des croyants face aux êtres vivants et à la nature : le véganisme les place face à des principes éthiques élevés, mais fondés sur des considérations séculières. D’autre part, le statut même de l’être humain face aux autres êtres vivants est mis en cause, avec une tendance plus ou moins marquée à réduire la distance entre l’homme et les « animaux non humains ».
Le christianisme se trouve souvent mis en cause, en raison des justifications qu’il donnerait à la domination et à l’exploitation de la nature et des autres êtres, selon les versets du livre de la Genèse :
« Dieu dit : ‘Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les bestiaux, sur toutes les bêtes sauvages et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.’ Et Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit : ‘Fructifiez et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout être vivant qui rampe sur la terre.’ » (Genèse 1 : 26–28, trad. Osty)
Notons cependant que, si Dieu place l’homme en position de domination, le verset suivant donne à l’homme comme nourriture uniquement les végétaux, et pas les animaux :
« Voici que je vous donne toute herbe portant semence à la surface de la terre, et tout arbre qui a en lui fruit d’arbre portant semence ; cela vous servira de nourriture. » (Genèse 1 : 29, trad. Osty)
Ce verset fondateur suggère une situation d’harmonie originelle dans laquelle l’homme n’aurait pas pris pour alimentation des animaux ou des produits d’origine animale, ce qui associe donc la modification de régime alimentaire à une conséquence de la chute originelle. Pour des raisons qui ne se limitent certes pas à ces considérations, mais les incluent, l’effort ascétique (celui des moines et moniales, mais aussi des laïcs durant des périodes d’abstinence) renonce entièrement ou partiellement à des produits d’origine animale, même si ces règles se sont fortement diluées dans l’environnement chrétien occidental contemporain [39].
Spécialiste des relations entre hommes et animaux, l’historien français Éric Baratay s’est beaucoup intéressé aux dimensions religieuses [40]. Il a ainsi montré tant les évolutions que les potentialités. Dans le cas du protestantisme, il relève l’émergence « d’une adaptation progressive aux changements de sensibilités des sociétés concernées par des pasteurs qui les partagent ». Du côté catholique, dès le XIXe siècle, Baratay note l’apparition — dans certains cercles des sociétés développées — d’un déclin des approches anthropocentriques « au profit d’un respect de l’animal en tant que créature vivante, sensible, intelligente et souffrante » [41]. Mais, à partir d’une analyse du cas français contemporain, il note aussi l’existence, au départ, de « fortes réserves voire des franches hostilités du monde catholique vis-à-vis de l’éthique animale », ayant une influence au-delà des cercles catholiques, sur des « intellectuels, journalistes, écrivains, souvent non-pratiquants, mais aussi souvent d’origine et de culture catholiques » [42]. Mais de nouvelles attitudes se font jour, relève-t-il, tout en ajoutant que « l’éthique animale anglo-saxonne des Singer et Reagan est peu utilisée, sans doute du fait de son approche agnostique. » [43] L’intérêt de cette approche est de mettre en lumière des évolutions en interaction avec la pensée contemporaine et la variété des approches. Les lecteurs intéressés se reporteront directement aux livres d’Éric Baratay et à ses articles (accessibles en ligne pour certains) afin d’en apprendre plus sur cet instructif dossier.
La réponse de la tradition chrétienne orthodoxe
L’écho suscité par le véganisme et les interrogations soulevées par la prise de conscience du traitement des animaux dans un cadre où l’agriculture se trouve toujours plus industrialisée obligent les Églises, et en tout cas les chrétiens conséquents, à prendre ces questions au sérieux, en apportant sur ces sujets un éclairage fondé sur leur foi.
J’ai découvert avec plaisir le récent livre de Jean-Claude Larchet, un chrétien orthodoxe français, Les Animaux dans la spiritualité orthodoxe (2018), qui a synthétisé cette question bien mieux que je ne saurais le faire. Notant le paradoxe d’un monde qui oscille entre amour déséquilibré des animaux, à un extrême, et chosification de ceux-ci dans le cadre de la monstruosité d’élevages industriels coupés de tout espace naturel et qui ne considère plus les animaux que comme des produits, à l’autre extrême, Larchet estime que le christianisme a beaucoup à dire sur les normes de bon comportement envers les animaux, à la fois par des siècles de réflexions cosmologiques, anthropologiques et théologiques, et par les témoignages concrets des figures saintes de la tradition chrétienne [44]. L’approche proposée est celui de la tradition chrétienne orthodoxe, qui ne fait pas de l’abstinence de produits d’origine animale une condition de salut, mais reconnaît que ce mode d’alimentation est lié à la chute originelle :
« L’Église orthodoxe garde (…) une conscience profonde que non seulement le végétarisme (abstinence de viande), mais le végétalisme (abstinence de tout produit d’origine animale) est la norme idéale qu’avait posée Dieu au paradis. En témoignent de manière permanente les moines, qui ont revêtu l’habit dit ‘angélique’ et qui cherchent par l’ascèse à réintégrer spirituellement la condition paradisiaque et à anticiper ici-bas la vie du Royaume céleste qui retrouvera et accomplira (mènera à sa perfection) cet état originel. En témoignent aussi, près de la moitié de l’année, les simples fidèles qui, au cours des quatre carêmes et des deux jeûnes hebdomadaires du mercredi et du vendredi, s’abstiennent de tout produit d’origine animale (non seulement viande, mais poisson, œuf et laits et produits dérivés…). La finalité de cette pratique est, par les effets psychosomatiques du jeûne, de favoriser les dispositions spirituelles des fidèles ; elle n’a donc pas pour but le respect des animaux, mais elle l’inclut cependant. » [45]
L’homme ayant entraîné la nature dans sa chute, il « perd le pouvoir spirituel qu’il avait sur les animaux et lui substitue un pouvoir physique, fondé non plus sur l’affection de ceux-ci, mais sur la contrainte et sur la violence » [46]. Les animaux se montrent certes aussi violents, mais sont innocents du point de vue spirituel, faute de conscience morale. Ils sont ainsi inférieurs à l’homme. Au sens strict, la question du salut des animaux ne se pose point dans une perspective orthodoxe, ajoute Larchet, puisque les animaux ne sont pas coupables de péché. Mais certains textes des grandes figures spirituelles de la tradition chrétienne voient le salut s’étendre d’une certaine façon à l’ensemble des créatures, avec la perspective du retour à des relations pacifiées et harmonieuses entre l’homme — comme médiateur — et toute la Création. Cela est préfiguré par les saints, parmi lesquels on trouve de nombreux exemples d’une relation « amicale » avec les animaux :
« Les saints donnent l’exemple d’une cohabitation harmonieuse avec la nature où chaque être (plante, animal et homme) occupe sa vraie place dans la hiérarchie des êtres établie par Dieu, une hiérarchie qui n’est pas source d’exclusion et qui ne se vit pas sous le mode d’un sentiment de supériorité ou d’infériorité, mais qui est au contraire une source d’intégration. Ils témoignent aux yeux du monde de l’amour que Dieu a envers chacune de Ses créatures et se font, à leur mesure, Ses imitateurs. » [47]
La plus grande partie du volume de Larchet propose une anthologie. Après une sélection de textes bibliques pertinents, il propose des textes de Pères de l’Église sur les animaux ainsi que des récits illustrant les relations entre des saints et des animaux, y compris certains généralement considérés comme féroces.
Comme on le constate, il est donc possible de soutenir une pratique chrétienne du végétalisme, mais sur des bases profondément différentes de celles qui guident le véganisme et incompatibles avec les postulats philosophiques de l’antispécisme. Dans cette perspective chrétienne, la racine de la souffrance animale est de nature spirituelle. La réponse à la déchéance spirituelle humaine et à ses catastrophiques conséquences pour l’ensemble de la Création ne conduit pas, en effet, à une revendication d’égalité animale considérant l’homme comme un animal avec plus de responsabilités que les autres, mais l’appelle au contraire à la déification (theosis) pour retrouver sa vraie nature, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, selon l’ancienne tradition chrétienne. En même temps, c’est une approche réaliste, qui rappelle l’idéal tout en gardant conscience de l’écart entre celui-ci et un monde imparfait, même si la tension de l’ascèse peut introduire un début de correction pour celles et ceux qui la pratiquent.
Il existe ainsi dans le christianisme traditionnel des ressources pour répondre au défi lancé par le véganisme et la « libération animale », mais ces réponses se situent sur un plan très différent de l’activisme animaliste.
Quoi qu’il en soit, on ne peut considérer les religions du point de vue de leurs textes fondateurs ou de leur interprétation idéale : il s’agit toujours de voir comment ceux-ci se trouvent interprétés et appliqués par les membres de groupes religieux. La présence de ressources dans une tradition spirituelle pour confirmer la pertinence d’une démarche est une chose — autre chose est la réalité sociologique des populations rattachées à l’une ou l’autre tradition religieuse : cela vaut pour l’Église orthodoxe comme pour les autres traditions religieuses.
Quel avenir pour l’antispécisme et le véganisme ?
La progression du véganisme et des thèses animalistes a été très rapide. La diffusion du véganisme pour différentes raisons ainsi que l’activisme des milieux animalistes et leur habileté à utiliser des modes de communication propres à retenir l’attention — même en suscitant des réactions antagonistes — leur ont permis d’imposer ces sujets dans le débat public. Il en résultera certainement des transformations concrètes dans certains domaines où ces actions de protestation convergent avec la sensibilité d’un public plus large face à des pratiques difficilement admissibles.
Des transformations plus profondes des modes d’alimentation et de consommation ne se produiront pourtant que dans la mesure où les effets de ce militantisme coïncideront avec des intérêts économiques. Il existe certains indicateurs dans ce sens, comme l’a notamment relevé un article de la revue We Demain (N° 25, mars 2019), que j’ai résumé sur un autre site, mais il y a encore une très grande marge entre cette émergence d’un marché [48] et l’adhésion d’une majorité de la population au véganisme, ou même simplement au végétarisme, que ce soit pour des raisons éthiques ou de santé. Ce qui est indéniable est une ouverture sans précédent au véganisme, qui pourrait bien se confirmer dans la durée.
Sur le plan politique, l’animalisme et l’antispécisme représentent un paradigme de « libération totale » [49], qui se conçoit comme l’extension de précédents combats. Parmi les plus politisés des militants, certaines voix — comme celle de Tiphaine Lagarde dans un long entretien publié par le site de la revue Ballast — s’inquiètent de la récupération du véganisme individualisé par la culture marchande et estiment que « l’offre grandissante de produits véganes (dans les supermarchés et autres lieux de consommation) n’est pas le signe d’une amélioration de la condition animale, mais seulement de notre condition de véganes. »
« Ce n’est pas la notion de ‘véganisme’ en tant que telle qui pose problème, mais plutôt sa mainmise sur les médias et surtout le fait qu’elle soit perçue et promue comme le but escompté des actions menées par les différentes associations animalistes. L’antispécisme est en quelque sorte ‘invisibilisé’ par le véganisme, dans l’espace public. La raison en est simple : plus mainstream, la notion est moins politisée, plus ‘joyeuse’ et surtout plus à même de faire vendre ! Le véganisme parle d’humains et pas d’animaux… (…) On préfère parler de notre régime alimentaire plutôt que du sort des opprimés. Cette injonction constante à donner une bonne image de soi et à rendre notre discours complaisant démontre l’effet communautarisant et dépolitisant du véganisme (…). L’antispécisme n’a pas besoin de ‘faire envie’ ni de ‘faire vendre’ : les impératifs de justice et d’égalité doivent se suffire à eux-mêmes et n’ont nul besoin d’artifices publicitaires. » [50]
Même s’il est probablement destiné à rester minoritaire, le véganisme semble bien parti pour s’installer dans le paysage et y trouver sa niche en tant que mode de consommation. De même, nul doute que la pression des activistes animalistes débouchera sur des dispositions plus strictes quant aux aspects les plus criants des pratiques qu’ils dénoncent, mais aura du mal à gagner une majorité de la population au cœur de leur programme : car leur objectif va bien plus loin que la simple amélioration du sort des animaux[51]. Pourtant, il se pourrait bien que cela finisse par être le principal résultat de la pression exercée : même sans être antispéciste ou végane, on ne saurait regretter ce qui aidera à mettre un terme à la chosification d’animaux transformés en « produits » d’une industrie.
Jean-François Mayer
Notes
- Valéry Giroux et Renan Larue, Le Véganisme (2e éd. mise à jour), Paris, PUF, 2017 (coll. Que Sais-Je ?, N° 4068), p. 114. ↑
- Marc Bekoff (dir.), Encyclopedia of Animal Rights and Animal Welfare, Westport (Connecticut), Greenwood Press, 1998, p. 320. ↑
- Tout le monde n’est pas rallié à des positions antispécistes dans la mouvance libertaire, comme l’a montré un article antivégane dans Le Monde libertaire en 2012, auquel a répondu le site La Terre d’abord ! (http://laterredabord.fr/?p=13416).↑
- En 1997, en même temps que des brochures antispécistes, la rédaction des Cahiers antispécistes envoyait des documents pour soutenir les réseaux zapatistes nés à partir des mouvements du Chiapas, au Mexique, et un formulaire de préinscription à la « Seconde rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme ». ↑
- On peut lire avec intérêt la lettre explicative de ce dernier quand il a quitté la rédaction de la revue, en 2004. On y trouve notamment ce constat : « Au départ, il n’y avait en France pratiquement que nous qui nous réclamions d’antispécisme ; nous nous sommes battus pour faire connaître ces idées, particulièrement au sein d’un milieu que nous connaissions (Yves Bonnardel, Françoise Blanchon et moi-même, à l’époque), à savoir le milieu anarchiste et alternatif. Petit à petit le mouvement a pris corps, et a aussi acquis une indépendance vis-à-vis des Cahiers. Par ailleurs, au cours des dernières années, toute une série de projets indépendants sont apparus. Le mouvement végétarien s’est radicalisé, a commencé à oser parler des animaux, et à se réclamer même de l’antispécisme ; les mouvements traditionnels de défense animale, de leur côté, se sont rapprochés de l’antispécisme, la plupart de leurs membres ont cessé de manger les animaux et se sont mis à remettre en question l’exploitation animale dans son ensemble. » Le document intégral est accessible ici : http://david.olivier.name/fr/depart-des-cahiers-antispecistes.↑
- Quelques-unes des mentions relevées dans les dernières pages du N° 13 (décembre 1995) des Cahiers antispécistes. ↑
- Dounia Tadli (dir.), Regards croisés sur l’antispécisme, Bruxelles, Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation, 2017, p. 12. ↑
- Pour en trouver quelques échos, on peut effectuer une recherche autour des mots-clefs « antispécisme » ou « véganisme » sur le Forum anarchiste révolutionnaire (http://forum.anarchiste-revolutionnaire.org/index.php). Ou on peut lire un article publié sen 2010 sur le site de l’Organisation communiste libertaire (OCL), avec les commentaires qui le suivent, introduit par ces remarques : « L’antispécisme est apparu dans le paysage politique hexagonal au début des années 90 (…). Après quelques débats parfois houleux, il fut rejeté (avec raison, selon nous) par la quasi-totalité des organisations d’extrême gauche et anarchistes (…). Chassé par la porte, il est revenu par la fenêtre sous une forme anglo-saxonne plus militante et puriste, drapée d’anarchisme life style, le veganisme. Être vegan est devenu un signe de reconnaissance au même titre qu’un style vestimentaire ou musical, qu’une façon de parler ou d’écrire. Une mode, en somme. » (« Être vegan, une mode pour temps de crise », 15 octobre 2010, http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article840#forum836 : on peut aussi trouver cet article au format PDF, pour impression sous forme de dépliant : http://oclibertaire.free.fr/IMG/pdf/vegan_brochure_.pdf).↑
- Une illustration en est le site « La Terre d’abord ! », dont les animateurs se disent issus du mouvement vegan straight edge. Sur leur position par rapport aux autres expressions du véganisme, voir l’article « Welfarisme, abolitionnisme, anti-spécisme, libération animale », 7 août 2011, http://laterredabord.fr/?p=10274.↑
- À l’heure où j’écris ces lignes, j’ai commandé, mais pas encore reçu et lu, l’étude de Catherine-Marie Dubreuil, Libération animale et végétarisation du monde. Ethnologie de l’antispécisme français, Paris, Éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 2013. Selon les comptes rendus que j’ai lus sur ce livre, il décrit les engagements antispécistes et l’évolution de ce milieu en France. Les travaux sur ce sujet se multiplient bien sûr, à la mesure de la montée du mouvement végane et antispéciste : j’en ai vu par exemple plusieurs sur l’Italie ; sur ce dernier pays, en français, on peut signaler le très intéressant article d’Isacco Turina, « Éthique et engagement dans un groupe antispéciste », L’Année sociologique, 60/1, 2010, pp. 161–187. ↑
- Cf. Jessica Greenebaum, « Veganism, identity and the Quest for Authenticity », Food, Culture & Society, 15/1, mars 2012, pp. 129–144. Le slogan de l’organisation suisse Swissveg identifie clairement ces trois dimensions : « Pour les animaux, l’environnement et la santé ! » ↑
- « Le véganisme : qu’est-ce que c’est ? », http://vegan.fr/le-veganisme/ ↑
- V. Giroux et R. Larue, op. cit., p. 106. ↑
- Cela reste à vérifier : certains sondages dans plusieurs pays suggèrent une proportion de femmes qui tournerait encore autour de 60 %. ↑
- « Sondage Végé », 2017, https://www.swissveg.ch/sondage_veg?language=fr.↑
- Jacqueline Büchi, « Studie des Bundes : ‘Nicht alle Veganer essen viele Früchte und viel Gemüse’ », Watson, 13 mai 2018, https://www.watson.ch/schweiz/interview/394507621-studie-des-bundes-nicht-alle-veganer-essen-viele-fruechte-und-viel-gemuese.↑
- Propos de Sahar Riemer, qui prépare une thèse sur le mouvement antispéciste, citée dans un intéressant reportage de Jérôme Segal, « Le véganisme en Israël : un engagement peut en cacher un autre », Les Temps Modernes, 2018/3, N° 699, pp. 208–215 (p. 209). ↑
- Erica Weiss, « ‘There are no chickens in suicide vests’ : the decoupling of human rights and animal rights in Israel », Journal of the Royal Anthropological Institute, 22/3, sept. 2016, pp. 688–706 (cet article est en libre accès au format PDF : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/1467–9655.12453).↑
- « L’élevage est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Tandis qu’adopter une alimentation végétarienne permet de réduire de 46 % ces émissions, ce ne sont pas moins de 87 % d’entre elles qui passent à la trappe avec une alimentation végétalienne. Même chose pour les besoins en eau : un litre de lait de vache nécessite 1 000 litres d’eau, contre 300 litres seulement pour du lait de soja », explique Ophélie Véron (« Végétariens de tous les pays, véganisez-vous ! », TerraEco, 29 février 2016, https://www.terraeco.net/Vegetariens-de-tous-les-pays,64592.html). ↑
- Il est assez difficile de proposer des données statistiques précises. Il convient de considérer avec prudence les résultats de sondages, car il semble qu’on puisse observer assez souvent une surévaluation dans les réponses données ; seules des enquêtes qualitatives et des enquêtes de terrain de longue haleine pourront affiner les pistes indiquées par les données quantitatives. ↑
- Study Of Current And Former Vegetarians And Vegans, 22 décembre 2014, https://faunalytics.org/study-of-current-and-former-vegetarians-and-vegans/.↑
- Aymeric Caron, Antispéciste : réconcilier l’humain, l’animal, la nature, Paris, Don Quichotte, 2016. ↑
- Hugo Clément, Comment j’ai arrêté de manger les animaux, Paris, Seuil, 2019, p. 9. Il serait intéressant de mener aujourd’hui une enquête dans les milieux végétariens pour savoir quel pourcentage de ceux-ci considèrent le véganisme comme une sorte d’idéal à atteindre, d’accomplissement ultime de leur démarche végétarienne, ou au contraire comme une démarche distincte de la leur. ↑
- Ibid., p. 181. ↑
- Cf. Julie Doyle, « Celebrity vegans and the lifestyling of ethical consumption », Environmental Communication, 10/6, 2016, pp. 777–790. ↑
- Ophélie Véron, « Fron Seitan Bourguignon to Tofu Blanquette : Popularizing Veganism in France with Food Blogs », in Jodey Castricano et Rasmus R. Simonsen (dir.), Critical Perspectives on Veganism, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2016, pp. 287–305. ↑
- Ibid., p. 301. ↑
- Marianne Celka, Vegan Order. Des éco-warriors au business de la radicalité, Paris, Arkhê, 2018, pp. 60 et 61. Pour un compte rendu critique du livre de Celka d’un point de vue végane, on peut lire : « Life division — Review de Vegan Order de Marianne Celka — entre sociologie de comptoir et prémonition », K&M Les Veganautes, 6 avril 2018, https://kmlesveganautes.wordpress.com/2018/04/06/life-division-review-de-vegan-order-de-marianne-celka-entre-sociologie-de-comptoir-et-premonition/.↑
- Wesley V. Jamison, Capsar Wenk et James V. Parker, « Every Sparrow That Falls : Understanding Animal Rights Activism as Functional Religion », Society & Animals, 8/3, janvier 2000, pp. 305–330. D’autres chercheurs ont préféré le concept de « religion implicite » développé par Edward Bailey (1935–2015), pour identifier le sacré dans le profane et ce qui motive et passionne des individus, en les poussant à des engagements sacrificiels le cas échéant : c’est à ce concept que recourait Vincenzo Romania dans une communication présentée à un colloque en 2014. ↑
- « Le véganisme éthique est avant tout un système de croyances accompagné de pratiques qui reflètent ces croyances. En tant que tels, les véganes éthiques et/ou végétariens éthiques (…) se distinguent des véganes ou végétariens qui renoncent à l’usage de produits d’origine animale sans des croyances correspondant aux critères légaux de la religion pour motiver ces pratiques. » Parmi ces critères : une pratique liée à des croyances sincèrement soutenues, occupant une place parallèle à celles des religions traditionnellement reconnues, découlant de croyances morales ou éthiques aussi fortes que celles des religions pour distinguer entre le bien et le mal, et exprimant une conviction personnelle intense (Lisa Johnson, « The Religion of Ethical Veganism », Journal of Animal Ethics, 5/1, printemps 2015, pp. 31–68). ↑
- Pour une synthèse de cette affaire et de ses enjeux : Jonathan Seglow, « Should veganism receive the same legal protection as a religion ? », The Conversation, 1er avril 2019, https://theconversation.com/should-veganism-receive-the-same-legal-protection-as-a-religion-114243.↑
- Éva Salabert, « Libération animale et spiritualité », Cahiers antispécistes, N° 12, avril 1995, pp. 15–18 (p. 15) ↑
- Ibid., p. 17. ↑
- Philippe Moulhérac, « Peut-on rester en chiens de faïence ? », Cahiers antispécistes, N° 12, avril 1995, pp. 19–25 (p. 19). ↑
- Ibid., p. 24. ↑
- Deux de ces livres ont été publiés en traduction française à l’initiative de One Voice, dont l’important ouvrage Théologie animale, Strasbourg, One Voice, 2009. ↑
- Estiva Reus, « Théologie animale d’Andrew Linzey », Cahiers antispécistes, N° 33, novembre 2010, http://www.cahiers-antispecistes.org/theologie-animale-dandrew-linzey/.↑
- David Clough, « Les chrétiens devraient-ils être végétaliens ? », https://fra-respect-animal.org/les-chretiens-devraient-ils-etre-vegetaliens-david-clough.↑
- Sur cette évolution (différente du christianisme orthodoxe conservé par les Églises orientales) et le « lent et apparemment irrésistible dépérissement des pratiques catholiques du jeûne et de l’abstinence ecclésiastiques » (p. 65), on pourra lire avec profit la substantielle introduction générale du livre de Sylvio Hermann De Franceschi, Morales du Carême. Essais sur les doctrines du jeûne et de l’abstinence dans le catholicisme latin, XVIIe-XIXe siècle, Paris, Beauchesne, 2018, pp. 7–66. ↑
- Cf. Éric Baratay, L’Église et l’animal (France, XVIIe-XXe siècle), Paris, Éd. du Cerf, 1996 ; Des Bêtes et des Dieux, Paris, Éd. du Cerf, 2015. ↑
- Éric Baratay, « Le christianisme et l’animal : une histoire difficile », Ecozona. European Journal of Literature, Culture and Environment, 2/2, 2011, pp. 120–138 (pp. 133 et 134) (accessible en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00659716/document).↑
- Éric Baratay, « Penser l’animal dans le catholicisme français contemporain, 1940–2010 », Klesis. Revue philosophique, 2/1, 2010, pp. 201–212 (p. 201) (accessible en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00659780/document).↑
- Ibid., p. 209. ↑
- Jean-Claude Larchet, Les Animaux dans la spiritualité orthodoxe, Genève, Éd. des Syrtes, 2018, p. 8. ↑
- Ibid., p. 12. ↑
- Ibid., p. 15. ↑
- Ibid., pp. 20–21. ↑
- Pour un panorama sommaire de la croissance de l’industrie alimentaire végane aux États-Unis, lire l’article de Janet Forgrieve, « The Growing Acceptance of Veganism », Forbes, 2 novembre 2018, https://www.forbes.com/sites/janetforgrieve/2018/11/02/picturing-a-kindler-gentler-world-vegan-month/.↑
- Cf. Sarat Colling, Sean Parson et Alessandro Arrigoni, « Until All Are Free : Total Liberation through Revolutionary Decolonization, GroundlessSolidarity, and a Relationship Framework », in Anthony J. Nocella et al. (dir.), Defining Critical Animal Studies : An Intersectional Social Justice Approach for Liberation, New York, Peter Lang, 2014, pp. 51–73. ↑
- « 269 Libération animale : ‘L’antispécisme et le socialisme sont liés’ », Ballast, 27 décembre 2017, https://www.revue-ballast.fr/269-liberation-animale-lantispecisme-socialisme-lies‑1–2/.↑
- Les activistes véganes sont critiques face au « welfarisme », qui entend éviter aux animaux des souffrances tout en ne remettant pas en cause la possibilité de tuer des animaux : « La reconnaissance de la souffrance animale est certes louable, si ce n’est que cette approche, purement ‘welfariste’, en se conservant le droit de tuer les animaux pour les manger, omet un autre dénominateur commun aux êtres sensibles, et non des moindres : le droit à la vie et l’insoutenable douleur quand on nous la vole. » (Catherine Helayel, Yes vegan ! Un choix de vie, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2015, p. 212) ↑
Fils de seth dit
Ne jouez pas avec les Maitres du jeu, c’est leurs jeux, vous êtes sur leur terrains, vous utilisez leurs dés, leurs plateaux de jeu, leurs cartes et c’est eux qui en changent les règles en court de partie…
Comment voulez-vous obtenir la victoire ???
https://fils-de-seth.com/index.php/2020/07/19/les-fils-de-seth-et-le-royaume-animal/